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L’histoire de ce parcours d’arête c’est l’histoire d’une grande surprise, d’une belle surprise. Je ne m’attendais pas à autant d’émotions heureuses. Et pour le coup, j’ai été comblé…
Le premier contact avec l’arête nord-ouest du Rognon se passa lorsque j’arrivais sur ce sommet, venant du versant nord, Depuis la croix sommitale, j’observais avec précaution cette ligne descendante. M’avançant le long de la crête, un ressaut rocheux m’arrêta au bout d’une vingtaine de mètres : cela semblait ne pas pouvoir continuer. Ce fil d’arête devenait très étroit, trop raide aussi. Côté gauche, ce sont des plaques calcaires bien lisses et côté droit, de minces vires herbeuses, sans continuité, et surplombant vertigineusement le couloir nord remonté quelques heures auparavant. Une intuition me suggérait pourtant que ces vires pourraient être faisables et qu’elles permettraient de descendre encore un peu. Mais je n’eus pas le coup de mental – ni le culot – de risquer mes pas sur ces marches vraiment exposées. Je refluais, ne fis qu’une seule photo de tout ça, et remontais sans demander mon reste…
A la maison, alors que je regardais les photos du versant ouest, et que je cherchais comment le remonter par son milieu, jusqu’à la croix, bien sûr cette arête NO manifestait fortement son attraction, là, juste à côté.
Se découpant dans le ciel, bordant à gauche la cuvette ouest du Rognon, rien ne pouvait la faire ignorer. Et en tous cas, pas dans mes regards.
L’analyse que je faisais de son parcours m’impressionnait beaucoup. En bas : une première partie rocheuse, surmontée d’un téton nécessairement en escalade ; au milieu : un ressaut herbeux, peut-être pas commode du tout ; en haut : un ensemble de trois blocs rocheux verrouillant cette dernière partie ; bref, rien que des points d’interrogation et, du coup, une envie d’y aller clairement refreinée.
Seule brèche dans cette carapace de la montagne, une de mes photos – une seule, et encore était-elle un peu floue - laissait supposer qu’un dièdre, étroit, visiblement raide, caché derrière l’ensemble des trois blocs rocheux du haut, surplombant le couloir nord, pouvait offrir un passage. Et que, possiblement, ce dièdre rejoindrait les vires minces et discontinues aperçues depuis le haut. Seule cette hypothèse – ténue - me laissait espérer une solution favorable à ce projet.
Longtemps, je n’ai su quel choix faire entre elle, l’arête NO, celle qui me plaisait le plus, et le versant ouest direct à la croix, dans lequel par contre j’avais le sentiment que j’y serais plus à l’aise. Oui, la difficulté me semblait plus grande sur l’arête que dans le versant.
Comme mes journées de montagne sont peu nombreuses, qu’il vaut mieux n’en perdre aucune à cause d’errances infructueuses, je finis par me résoudre à choisir d’abord le versant ouest direct et à abandonner, dans un premier temps, l’arête. C’était le choix de raison…
Ne me résolvant pourtant pas à abandonner l’idée de l’arête, je faisais le plan suivant : monter directement à la croix par le versant ouest ; redescendre par le même chemin ; si la forme est bonne, alors remonter par l’arête NO, et aller jusqu’au bout de ce qui serait faisable. Ainsi, et même si l’arête s’avérait trop difficile, au moins aurais-je quand même fait quelque chose de ma journée. C’était une forme de compensation que je m’octroyais.
De plus, rien n’interdisait que, depuis le sommet, je recommence l’observation, par le haut, des vires minces, ainsi que de ce dièdre potentiel vaguement discerné. Rien ne l’interdisait….
La montée dans le versant ouest direct sous la croix s’est bien passée. Tout à fait bien.
Et me voici au sommet.
Après un petit casse-croûte, je commence à descendre l’arête. Reconnaissant sans problème le point auquel je m’étais arrêté il y a un mois de ça, je regarde les lieux…
Les vires minces….
Je cherche le dièdre.
Il est là, tout à côté des vires. Même, il les touche !
Et puis, à son point bas, je remarque une terrasse de cailloutis. Pourrait-ce être le pied du ressaut aux trois blocs rocheux qui soit déjà là ?
Si proche ???
Et oui….c’est bien ça.
Ce ressaut qui me paraissait si haut sur les photos, ne fait finalement qu’une quinzaine de mètres en tout. Et le contournement par les vires d’abord, puis le dièdre ensuite, en viendrait à bout sans problème majeur.
La seule difficulté visible, c’est le vide !
Voilà la situation.
Descendre une arête en général c’est être dans l’axe du fil. Ici, il faut pivoter de 90° vers la droite, faire face au vide – une trentaine de mètres qui tombent dans le couloir nord en dessous – descendre deux marches de cinquante centimètres chacune.
C’est ça le problème, pas plus : deux marches.
Ensuite, s’engager sur son côté gauche pour prendre le dièdre. Il n’est pas raide : c’est déjà ça de bon à prendre. Enfin, les deux flancs du dièdre, formant comme un toboggan rassurant, feront rejoindre le bas du ressaut sans autre obstacle.
Rassemblant ma vigilance, je choisis d'employer tous les moyens techniques, et d’utiliser mon trépied naturel : le séant.
Face au vide, poser les fesses en haut de la première marche, glisser les pieds sur l’étage inférieur, planter le piolet dans le sol en position « ancre », descendre d’un étage. Et puis recommencer une deuxième fois la manœuvre.
Je n’en mène pas large, mais ce n’est pas difficile en soi. La difficulté c’est de faire cela face à un précipice de trente mètres, certainement, et de n’avoir pas droit à l’erreur.
Parce que je suis dans le sens de la descente, je préfère quand même être face au vide. Il est clair que dans le sens de la montée, face vers le sol, ce passage doit se présenter d’une façon toute différente et plus simple pour le moral. Mais là….
Je ne m’attarde pas trop. Sans précipitation. Les gestes sont exécutés. Replat intermédiaire. Photo. Puis le dièdre. Ca va bien. Et j’arrive de suite en bas, sur la plateforme de cailloutis ! Ouf !
En fait, comme chaque fois qu’une telle situation se produit, quand c’est fini, la réflexion est : « C’était pas si difficile…. ».
Rassuré, je vérifie les lieux, au-dessus, puis au-dessous, et constate que la suite de l’arête va être beaucoup plus simple que je ne l’imaginais. Ici, tout est commode, et peu pentu. La surprise est grande de constater combien je m’étais trompé dans mes estimations sur photos. Et le plaisir est intense de réaliser que je vais « avaler » cette arête sans coup férir. Sans danger, sans acrobatie, je descends tranquillement, et profite au maximum de la vue de ces promontoires successifs, devant moi, que le soleil éclaire de couleurs chaudes ! Quel bonheur, maintenant que la pression est tombée, de ne plus faire que des pas simples, sûrs, qui m’amènent sur l’épaule principale, juste à mi-parcours de l’arête.
L’apaisement installé dans l’esprit, je prends de plus en plus de plaisir à être là, et m’autorise plein de suppléments, à droite, à gauche, sur chaque vire latérale où les traces de chamois sont nombreuses. Il y a même le gros surplomb, en partie basse, qui me voit lui rendre visite. Un couple de choucas, ayant établi son nid dans le fond du trou, s’évertue à me faire partir en criaillant tant et plus.
Bientôt, je ne trouve plus rien à visiter…
Tout a été passé au crible fin.
Le soleil étant monté dans le ciel, la cuvette ouest prend des couleurs, elle aussi. Les ombres longues des sapins, la pelouse vert tendre du parterre, l’empilement des strates calcaires obliques, donnent à ce paysage un cachet fou. Dans le lointain, les lignes de Toussière se devinent, rappelant d’anciens bons souvenirs.
Et la sérénité qui se dégage de ces formes, de ces teintes, de ces instants, pénètre en moi, tout au fond. Il est facile de déduire que là, maintenant, se trouve l’une des facettes du Bonheur…
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