Si toutes les météos étaient formelles quant à la beauté du ciel aujourd'hui, aucune ne laissait entrevoir de telles conditions aérologiques : exceptionnelles pour un 18 novembre !
Pourtant au petit matin les mornes brumes épaisses et poisseuses planent bas entre les montagnes, masquant le plus souvent les plus hauts sommets. Cependant quelques trouées claires laissent entrevoir le relief, bonne nouvelle le Sénépy, mon objectif du jour est totalement dépourvu de neige, ce qui devrait faciliter grandement la progression. Alors, sans se soucier des perspectives, la marche commence dans une nature silencieuse seulement troublée par le chant délicat d'un merle que le froid n'a pas l'air de déranger. Parce que ce matin, ça caille vraiment !
C'est en traversant les dernières pentes que les signaux positifs d'une activité thermiques se sont fait sentir, une belle brise venant des entrailles de la vallée lèche les pentes ensoleillées et me bouscule gentiment au passage de la crête. Revigoré par cette annonce en fanfare des conditions de vol, la cadence de mes pas s'est subitement accélérée. Le plateau sommital immense et désert sera traversé au pas de course pour constater tout au nord l'absence d'un vent retord qui viendrait des Butarias. Il est temps de revenir au Sud pour préparer la voile. Je prends soin de tirer la clôture électrique, déposée par les bergers cet automne, dans la pente pour éviter de me prendre les pieds dedans.
Le paysage depuis ce sommet est fabuleux, l'immense et puissante barrière orientale du Vercors occupe l'ouest du décor tandis qu'à l'opposé, les sommets déchiquetés des Écrins forment un panorama tout en pointes acérées autour du 4000 le plus méridional des Alpes, la Barre des Écrins. Entre les deux, une multitude de lacs turquoises tapissent les fonds de vallées où la brume cède peu à peu le terrain sous l'action bénéfique d'un soleil radieux. L'envol est une formalité si l'on excepte le fait que bien évidemment, ce putain de fil électrique s'est emmêlé dans mes pinceaux, je tire le pied en arrière pour éviter que le câble ne s'accroche et me fasse faire un violent et douloureux retour à la terre beaucoup trop prématurément.... Et en avant pour une séance grisante de circonvolutions devant le relief, porté par les maigres thermiques que la brise pousse par dessus le sommet, c'est un pur régal, la brise est laminaire, quel plaisir de venir saluer les randonneurs arrivés sur le lieu du décollage. Au loin le Mont Aiguille apparaît drapé dans une étole d'hermine. Le soleil omniprésent se reflète dans les eaux bleues et vertes du Drac, j'en prends plein les mirettes !
Le vol s'éterniserait indéfiniment si le froid, accentué par le vent relatif du parapente, ne m'engourdissait pas les mains, alors, avant d'avoir l'onglet qui promet d'être cuisant, je quitte à regret mon avant poste, au dessus du sommet du Sénépy. La suite est une agréable et interminable glissade entre les flancs escarpés de la vallée du Drac. Compte tenu de la saison, le vent de vallée, malgré l'heure tardive qu'a entraîné ma balade aérienne, n'est même pas fort. Je retrouve alors le plancher des vaches, content d'avoir eu ma vengeance sur les parapentistes qui ont mis ma patience à l'épreuve durant la semaine passée par leurs récits homériques de vols.
Everything ils clear in my heart
I see the clouds, oh i see the sky
J.Lennon