Conformément au bulletin météorologique de la semaine dernière et c’est assez rare pour le souligner, la journée d’aujourd’hui fut absolument conforme aux prévisions, c’est à dire parfaite. Alors évidemment on n’allait pas la laisser passer. Bon avec le confinement nos champs du possible sont réduits à la portion congrue, le col du Baure sera encore notre objectif, corrélativement au vent du nord persistant ses derniers jours. Mais ne boudons pas notre plaisir de nous retrouver sur ce charmant sentier dans une relative solitude. Bien sûr avec un temps pareil nous ne serons pas seuls, trois parapentistes nous rattrapent et nous doublent sans qu’ils nous sèment vraiment dans les derniers lacets. Nous les retrouverons bientôt sur la prairie de décollage. Dans la dernière ligne droite et fidèles à nos habitudes, nous saluons au passage la mémoire de Henriette Grattier née Cataneo dont la plaque commémorative juste avant le col nous rappelle combien elle était appréciée de ses élèves de Crolles.
Au col boisé du Baure, les indicateurs sont tous au vert alors sereins nous terminons notre marche thérapeutique, oui je prête à cette activité des vertus salvatrices. En débouchant sur la belle prairie ouverte sur le monde, la qualité de l’air nous interpelle. Il est 9h45 et tout porte à croire que les conditions sont déjà bonnes, sans être trop instables, Dieu merci. Alors sans nous presser nous étalons nos voiles derrière nos trois amis et attendons notre heure qui ne devrait pas tarder. Comme le vent est à peine perceptible, un démarrage dos voile est tout indiqué, ça tombe bien nous adorons la manœuvre. Le premier des trois tente toutefois le face voile. Si son parapente se gonfle bien, le voilà obligé de courir maladroitement à reculons pour enfin avoir une aile correcte au dessus de la tête, une figure de style bien inutile aujourd’hui !
Pendant ce temps là, un nombre impressionnant de voiles performantes déboulent en volant bien en dessous de nous, à mi falaise. Ils viennent sans doute de Saint Hilaire où le coup de feu du départ a déjà sonné pour les kadors. Ils enroulent comme des malades la moindre ascendance. Quand nous décollons, ils sont largement en dessous de nous, j’en compte dix-huit sous mes pieds. Profitant lâchement de mon avantage, celui d’arriver dans le thermique par le haut, je tourne au dessus de la meute non sans éprouver une certaine fierté. Les voir tourner en-dessous de nous, tous équipés de leurs voiles ultra-performantes dont la forme évoque plus la lame effilée d’un sabre turc que nos deux truelles de maçon, nous ravit. Mais la gloire est éphémère. Bientôt les guns montent à notre hauteur, nous pouvons aisément détailler leur équipement pléthorique. Confortablement installés dans une sellette qui tient plus du kayak que de la balançoire, ils ont devant le nez un tableau de bord d’Airbus A380, un parachute de secours en position d’alerte et que sais-je encore d’outils dédiés à la performance. L’extension du domaine de la lutte, si cher à Houellebecq, s’est manifestement développé jusqu’aux hommes volants.
Après avoir enroulé quelques minutes avec eux, nos objectifs divergent vite. S’ils se préparent à parcourir deux-cents bornes dans des conditions bientôt chimiques, nous, sans aucun matériel de sécurité passive, avons d’autres horizons. Sans parachute, ni dorsale, ni variomètre, ni même de casque pour ma part, nous nous focalisons sur la sécurité active, celle de fuir les zones dangereuses ainsi que les phénomènes qui nous dépassent, et ils sont nombreux, ne nous le cachons pas, alors nous nous dirigeons tranquillement vers l’atterrissage. Nous aurons toutefois le bonheur de prolonger encore le vol avec la présence d’une belle ascendance juste au dessus des pavillons coquets de Saint Nazaire les Eymes, est-elle due à l’impressionnante quantité de piscines jouxtant chaque maison ? je ne le pense pas. Savourer ces derniers instants suspendus au dessus de tout est une gourmandise sucrée. Nous nous posons simplement, heureux de cette belle journée partagée tous les deux.