Il me tardait d'aller vérifier si cette balade était aussi belle que dans mes souvenirs. Au petit matin la fraîcheur est mordante malgré le soleil qui pointe juste au dessus de l'objectif, cet éblouissant contrejour ne permet pas de voir la dimension de la couverture neigeuse sur le parcours. Certes c'est encore l'hiver et la neige dure pourrait être un obstacle, les crampons et le piolet alu prennent donc place dans le sac avec le parapente.
Tout est calme mais les oiseaux se font entendre à travers de timides trilles depuis les branches épaisses des conifères. La progression est facile sans jamais voir un névé sur les deux premiers kilomètres. Et puis soudain elle apparaît au détour d'un virage, une neige glacée et dure, toutefois les névés restent discrets, j'arrive au col de la Brèche sans avoir à sortir les crabes. Plus haut les trois congères qui encombrent encore le sentier sont inoffensives car de bonnes marches permettent de les traverser facilement.
Une fois sur l'arête faîtière, il suffit de suivre le fil complétement dégarni entre les deux abîmes. Le vent vient clairement du versant ensoleillé. Arrivé en haut, il ne reste plus qu'à jouir du panorama sous l'austère sphinx qu'est le sommet de l'Obiou. J'étale la voile en contrebas face au vent. Une fois prêt dans la sellette, souffle soudain une bouffe de sud-ouest qui me ratatine la voile. Ma patience est mise à rude épreuve, plus rien de face, je fais une tentative sans trop y croire mais la voile monte n'importe comment. Je rassemble donc le chiffon en pépin avant de me transporter au sud-ouest d'où provient la petite brise météo.
L'envol est une formalité face à l'immense plateau du Trièves. L'instabilité se manifeste rapidement par des ascendances nombreuses, même loin du relief. Ça plane et cela ne descend absolument pas. Me voilà en suspension dans l'éther loin de tout. Du coup je me promène de thermiques en thermiques bien au delà de Mens découvrant de nouveaux vallons et de beaux châteaux inconnus. Parvenu au milieu du plateau, il est temps de rentrer vers Menglas et son atterrissage repéré ce matin. Curieusement le retour sera bien maigre en ascendances, si bien que ma réserve d'altitude s'épuise vite... Il me faut atterrir avant la rangée d'arbres qui borde mon terrain du jour. Pas de problème sauf que je n'ai pas eu le temps de voir la flamme plantée au milieu de mon champ. Sans indication du vent, j'opte pour une approche aléatoire. Évidemment à trente mètres sol, je me rends compte que j'arrive vent de cul. Il a fallu courir vite pour ne pas se prendre une boîte devant l'unique spectateur confortablement installé sur le balcon de sa belle maison.
Il faut se rendre à l'évidence, ce belvédère du Trièves permet un vol fantastique, comme en plaine, avec toutefois les puissants sommets du Vercors en fond de décor qui subliment l'endroit, s'il en avait besoin.