C'est une balade que je n'ai pas faite depuis vingt ans, elle me permettait à l'époque de ne pas prendre de voiture puisque nous partions de la maison de Sassenage pour monter au Sornin, 1400 mètres plus haut, avant de voler par dessus la vallée et d'atterrir à côté de la maternelle où les gosses des autres et les nôtres s'extasiaient devant ce gros papillon qui atterrissait à proximité de la cour d'école.
Le temps a passé et maintenant c'est pour une toute autre raison que je reviens sur ces chemins lourds du poids de l'histoire. Comme vous le savez le Vercors fut une terre d'accueil pour la Résistance lors de l'invasion allemande, de nombreuses batailles et atrocités ont eu lieu ici. Une récente publication de topos pédestres est sortie chez Glenat, elle approche la montagne en s'appuyant sur cette période sombre de l'histoire, c'est un livre passionnant et sa lecture m'a donné envie de parcourir une nouvelle fois ces sentiers sous un nouveau jour.
Le petit chemin discret qui part du vieux village de Sassenage est le début d'une promenade passionnante. Il passe devant une maison qui fut jadis un commerce et une boulangerie, mais qui servit également de cachette pour le résistant Pierre Dalloz. On arrive encore à lire la peinture des magasins. Plus haut c'est l'entrée des Gorges du Furon et sa terrible falaise au pied de laquelle furent sauvagement abattus sans sommation cinq maquisards dont Jean Prévost qui se destinait à l'écriture avant que l'envahisseur ne le pousse vers d'autres combats. Depuis la lecture de ce livre, en passant ici, j'entends les terribles détonations des fusils qui ont réduit au silence et à la mort ces jeunes épris de liberté.
Évidemment après avoir traversé ces lieux si lourds de souvenirs dramatiques, je trouve un peu futile de grimper vers les sommets avec pour seules inquiétudes la couverture nuageuse trop étendue ou un vent retors qui m'empêcheraient de décoller.... Ce n'est pas avec une mitraillette et des munitions que je monte là-haut mais avec un bout de tissu et des barres énergétiques. Toutefois, le charme des sentiers et l'explosion du printemps m'interpellent par leur beauté et je ne doute pas que ces maquisards aguerris savaient également apprécier les merveilleuses transformations saisonnières d'une nature si généreuse, et même peut-être plus que nous.
Bref j'arrive à la cime sans m'être rendu compte des dix bornes à parcourir et de l'altitude acquise à la force du mollet. Là-haut l'impression habituelle de sérénité est toujours palpable, ce belvédère est un endroit magique ! Après une courte contemplation en raison de la force des thermiques qui augmente avec la chaleur, j'étale mon ancienne voile directement au sommet. Oui j'ai pris la vieille voile pour la sortir un peu et vérifier qu'elle vole toujours aussi bien. Pour ce qui est du décollage, on a fait d'énormes progrès car faire monter mon vieux tromblon est autrement plus laborieux qu'avec la Masala restée à la maison. Bon après trois tentatives je réussis enfin à m'extraire du plancher des vaches. Le début du vol est chaotique, je file trouver des cieux plus cléments. Plus loin dans la vallée, cela devient calme et reposant malgré l'altitude qui est stratosphérique. Je fais quelques manœuvres pour bien tester et retrouver le comportement, somme toute normal, de cette bonne vieille voile.
La fin du vol est un régal en admirant le paysage libre de l'envahisseur allemand depuis la libération. Si nous n'avons heureusement plus de drapeaux nazis qui flottent dans la vallée, nous avons maintenant des zones industrielles et commerciales, affreux héritage d'une économie libérale américaine qui privilégie les profits plus que tout. Cela nous donne par ailleurs des centres-villes vides d'animation et des zones commerciales immondes sans aucun tissu social, tout le monde s'ignore et tout le monde s'en fout, sauf des dernières promotions dans quelques hypermarchés sans âme. J'atterris d'ailleurs juste à côté du carrefour de Sassenage sous les applaudissements de quelques employés en pause, exploités par les multinationales ivres de chiffres, les nouveaux envahisseurs !
Je ne saurais que vous conseiller ce livre, "Vercors Les Sentiers de la Résistance", vous apercevrez alors en vous promenant ce que pouvait être ce monde d'avant où solidarité n'était pas un vain mot, un monde qu'ont défendu des jeunes maquisards au prix de leur vie. C'est d'ailleurs un peu ce qui se passe actuellement en Ukraine où d'autres Jean Prévost, d'autres Pierre Dalloz luttent contre la folie des hommes.