La Peyrouse, au sud de Grenoble, est l'un des plus beaux belvédères du Grésivaudan puisqu'elle se trouve exactement entre le Vercors et les Ecrins, alors quand la météo annonce un temps superbe autour du sommet avec un doux zéphir, il convient de s'y précipiter sans plus tarder avec un parapente.
Comme rien ne peut se dérouler sans un imprévu, un brouillard tenace vient mourir exactement à l'endroit de l'atterrissage... Est-ce une raison pour se laisser aller à la mélancolie et renoncer à la balade ? Pas question, il faut s'en remettre à la divine Providence ! Voir la mer de nuages se ruer sur Monteynard et se dissoudre en contrebas du village est un spectacle captivant, cela mériterait un Time lapse mais l'heure n'est pas à la contemplation. Les mille mètres de dénivelé réclament une motivation opiniâtre d'autant plus que la neige là-haut risque de me ralentir sévèrement.
C'est seulement au dessus de la forêt que le manteau neigeux prend des proportions inquiétantes. Il y a bien une trace de chasseur mais la glace sous-jacente est tellement pénible et glissante qu'il est préférable de s'enfoncer dans la poudreuse hors des empruntes gelées. Après une bonne suée, le sommet est enfin atteint, il y règne une quiétude exquise et une solitude idéale pour contempler les deux mondes qui viennent se rejoindre ici sur la longue crête arrondie. Au sud trône majestueux un Mont Aiguille dont la silhouette altière me rappelle évidemment Yann disparu récemment. A l'opposé vers l'orient se dressent les pointes acérées du massif de l'Oisans qu'illumine un soleil éblouissant. Le brouillard menaçant ce matin s'est évaporé comme par magie laissant apparaitre les insondables fonds de vallée.
Une petite brise venue du nord invite au décollage malgré son orientation pas vraiment optimale pour voler vers Monteynard situé justement au Sud-Ouest. Le plan de vol est simple, décoller dans l'air cristallin et contourner largement la cime par le sud avant de passer par dessus la longue crête, les thermiques devant me maintenir suffisamment haut pour la franchir avec une confortable altitude.
Après un décollage parfait, je vire de suite pour contourner le relief et trouver les ascendances salvatrices, sauf qu'elles vont cruellement se faire attendre. La crête boisée se rapproche en même temps que ma hauteur de sécurité diminue dangereusement, j'en viens à élaborer un plan B qui consisterait à me poser en pleine pente au dessus de la forêt. Heureusement je n'aurais pas à mettre en œuvre la procédure, soudain un thermique me fait biper le variomètre et me voilà au dessus des arbres de l'arête faîtière. Il suffit maintenant de se maintenir à la verticale des pentes ensoleillées et d'avancer vers la vallée en toute sécurité. La fin du vol est une gourmandise au dessus des méandres du Drac. Le lac est rempli à raz bord, sans doute en prévision d'une panne nationale d'électricité dont le gouvernement nous rabâche les oreilles tous les jours. Quoi qu'il en soit c'est magnifique, le ruban turquoise entre les deux rives s'étire 'jusqu'au bout du panorama !
J'avais bien planté un bâton avec une flamme au bord du seul champ en jachère pour matérialiser la brise qui peut être forte en milieu de journée mais un crétin l'a foutu parterre. Heureusement une des maisons du village doit avoir un mauvais tirage, elle laisse échapper une épaisse fumée grise parfaite pour indiquer le sens et la force de la brise. Décidément tout se goupille finalement parfaitement, comme une mécanique bien huilée. C'est entre les deux mondes que je me pose enfin, entre l'éclatante falaise du Vercors et les sombres sommets des Ecrins, un vol superbe !