Durant notre montée sur le petit sentier qui grimpe au col du Baure, notre moral est tombé au fur et à mesure du développement des énormes cumulus étagés entre 800 et 2500 m d'altitude. En voyant ces énormes masses nuageuses nous engloutir définitivement à l'approche du sommet, le titre de la parution nous a paru évident: "Mauvaise pioche" ! En effet nous n'avons rien à faire ici avec un parapente. Pour enfoncer le clou de la morosité, je me rappelle soudain que la route de Saint-Hilaire est fermée, il va falloir boire le calice jusqu'à la lie et se taper les 900 m de dénivelé et les 6kms dans l'autre sens.
Maintenant qu'on est au col et les pieds dans la neige, autant pousser jusqu'au terrain d'envol, nous ne sommes plus à 500 m près. Enfin nous posons les sacs au décollage, en plein milieu d'une purée de pois épaisse et glaciale. N'ayant pas envie de poireauter des heures ici, nous nous donnons une demi-heure à attendre l'éclaircie providentielle avant de redescendre à pinces. Cette décision de patienter nous est dictée par l'apparition furtive d'un sommet de Belledonne juste en face de nous, l'espoir fait vivre. Sans y croire et tranquillement, nous trouvons un tronc au sol pour nous asseoir et déguster une barre de céréales, ultime récompense en l'absence de vol. Chaque bouchée est goûtée à sa juste valeur sans attacher la moindre importance au brouillard épais qui nous entoure.
Et puis, au bout de quinze minutes, on décide de se dégourdir les jambes et de se réchauffer les mains par quelques moulinets. C'est à ce moment que le petit miracle a eu lieu, une éclaircie s'est produite, un fragment de paysage est survenu comme une divine apparition. Cette vision est pour nous un électrochoc, sans plus attendre nous déballons les voiles pour les étaler dans l'herbe détrempée. Toutefois la certitude du vol est loin d'être acquise, les masses cotonneuses évoluant à la vitesse du cheval au galop, il n'est pas garanti que l'éclaircie dure jusqu'à la finalisation de notre préparation.
Une fois tous les deux dans nos sellettes ultra légères, nous observons anxieux les mouvements chaotiques des cumulus toujours plus imposants. Les 7/8emes du ciel sont bouchés, il ne reste qu'un trou de souris dans lequel se dessine STMicroelectronics dont les toits brillent au soleil dans la vallée. Pour ajouter à l'ambiance, il commence à neiger... Hélène attend mon feu vert, elle ne veut pas être absorbée par un nuage et compte sur mon expérience en la matière, lourde responsabilité qui m'incombe. Devant ce que je crois être une amélioration, j'autorise l'envol. Si elle savait combien je ne suis pas vraiment sûr de moi ! Elle s'envole parfaitement et j'observe cet équipage volant dont la voile se découpe parfaitement sur ce fond gris. Il n'est plus question de regretter la décision, je décolle quelques secondes plus tard, pas question de la laisser seule.
Commence alors un vol d'une grande beauté, nous circulons côte à côte entre les énormes masses cotonneuses, notre trajectoire suit la lumière et rapidement c'est la délivrance, les nuages sont derrière nous, un ciel bleu intense nous couvre tandis que traînent encore des lambeaux de cumulus ici et là. La lumière irradie dans ce ciel limpide du matin. Curieusement ça monte de partout en vallée ! Alors que je m'attarde à faire une volte afin de prendre en photo nos arrières, Hélène me met 100 mètres dans la vue, je suis bien plus bas qu'elle ! Puisqu'il en est ainsi, je mets à profit ma perte d'altitude pour accélérer la descente afin d'atterrir avant ma douce et ainsi pouvoir la prendre en photo.
C'est juste à côté du cirque Triomphe que je me pose sous les yeux ébahis de lamas et de chameaux en tous genres. Un superbe étalon noir piaffe d'impatience en me voyant atterrir. J'ai tout le temps de préparer le téléphone pour saisir Hélène juste avant qu'elle se pose dans le seul champ en jachère.
Voilà un vol dont nous ne donnions pas cher durant la montée sur le sentier encore dans les nuages ! Un vol quasiment miraculeux !