Voilà quatre jours qu'une mer de nuages tenace traîne dans la vallée, laissant les Grenoblois désespérément dans la grisaille. Alors soit on passe par-dessus en allant skier plus haut, soit on reste dessous pour voler. Lassés de la poudreuse, nous remisons provisoirement les planches pour ressortir les voiles et direction Saint Hilaire. Pourquoi ce site plutôt qu'un autre ? Tout simplement en raison de son terrain de décollage exactement perpendiculaire à la falaise en contrebas, simplifiant le plan de vol à l'extrême, ce qui peut être utile, on le verra plus loin.
Nous partons depuis la vallée au milieu d'un important dispositif de chasse, des petits bonhommes orange pullulent le long des rails de ce qui fut le funiculaire de Saint Hilaire. Notre présence incongrue, nous qui ne sommes armés que de pacifiques parapentes, ne semble pas les déranger outre mesure. Nous saluons poliment chaque vigie du dispositif le long des rails avant de disparaitre sur le sentier à mi-hauteur du dénivelé. Pour plus de confort, nous chaussons les Yaktrax, ces petites chaînes à neige idéales contre la glace pernicieuse dans les passages vergelés.
C'est 100 m sous le décollage que le brouillard nous a enveloppés définitivement, nous privant totalement du paysage. Là-haut rien ne bouge, un disque blafard illumine cependant le plateau des Petites Roches révélant la finesse de la nappe de brouillard. Arrivés au décollage nord, force est de constater qu'on n'y voit que dalle. Sachant l'épaisseur du brouillard ténue, je propose de décoller quand même, il suffit de suivre la trace sur la carte du GPS afin d'éviter de percuter la planète en cas de changement de cap. D'ailleurs la configuration du site rend la manœuvre d'une simplicité enfantine, il suffit de ne jamais changer de direction. Hélène préfère ne pas tenter le diable, j'étale donc seul ma voile dans la purée de pois. C'est bien simple, je ne vois même pas les deux manches à air qui bordent la falaise en contrebas. Hélène se place donc en-dessous pendant que j'étale mon aile sur la neige et mets en place mes instruments de vol sans visibilité, à savoir mon téléphone en luminosité maximale sur la carte IGN de mon GSP.
Une fois prêt dans ma sellette, je demande à Hélène de me renseigner sur les manches à air que je devine à peine et m'élance vers l'inconnu. J'ai beau avoir préparé la séquence dans ma tête, elle réclame de l'assurance, décoller dans le brouillard complet est assez angoissant ! Sitôt mes pieds dans le vide , je me concentre sur l'écran du téléphone que j'ai heureusement mis en éclairage permanent en n'effectuant que de rares corrections afin de voir se dessiner sur le GPS la trajectoire la plus rectiligne possible. Les secondes s'égrènent lentement dans ce nuage à couper au couteau. Heureusement au bout d'une minute, la vue sur la vallée sombre s'est subitement dégagée. Le temps de filer un coup de fil à Hélène afin de la rassurer, je file vers la falaise où curieusement de petits thermiques prolongent un peu le vol dans une ambiance toujours glaciale.
Le pire c'est que deux autres parapentistes ont eu la même idée que moi, nous volerons ensemble un moment en me demandant bien d'où ils ont pu décoller. Certainement pas du décollage nord où j'étais tout à l'heure, il n'y avait aucune trace fraîche dans la neige. Ils ont dû décoller du sud... Quelle angoisse rétrospective, on a du être dans le nuage en même temps !
Nous irons à l'atterrissage ensemble sur l'aire de pliage en gravier sec pour éviter de mouiller les ailes. Je n'aurais pas à remonter en voiture chercher Hélène restée là-haut, un bon samaritain l'a prise en stop dans sa grenouille pour la redescendre dans la vallée.
Comme le chante si bien Zaho de Sagazan
Il fait toujours beau au-dessus des nuages
Mais moi si j'étais un oiseau, j'irais danser sous l'orage
Je traverserais les nuages comme le fait la lumière
J'écouterais sous la pluie, la symphonie des éclairs
Dans un album absolument génial "La Symphonie des éclairs", pour moi le meilleur album francophone du siècle !