Après le Vercors hier, me voilà au cœur de la Chartreuse aujourd’hui. Je ne m’attendais pas à trouver la parking du pont des allemands complètement vide ce matin. La proximité du monastère est palpable dès les premiers pas feutrés dans la neige. Les branches ploient sous la neige fraîche, la ferveur mystique émerge du silence, l’eau coule tranquillement entre les roches couvertes d’un épais manteau blanc, d’immenses arbres se dressent dans le ciel immaculé. Étrangement ce sont les mots du cantique des cantiques qui me viennent à l’esprit.
Lève-toi, mon amie, ma toute belle, et viens…
Ma colombe, dans les fentes du rocher, dans les retraites escarpées, que je voie ton visage, que j’entende ta voix !
Ta voix est douce, et ton visage, charmant.
Sans doute le plus beau texte de la bible, il va me suivre durant ce périple dans cette zone de silence qui n’a jamais si bien porté son nom. Après avoir dépassé les chapelles de Casalibus et de Saint Bruno, bâties toutes deux à l’endroit même du premier monastère emporté par une avalanche, la marche se poursuit à travers les espaces magnifiques et dégagés sous le col de la Ruchère. Deux ruines que la neige ne veut pas ensevelir dépassent de la couverture immaculée, laissant apparaitre ce qui fut un portail où une fenêtre. Arrivés au col il faut choisir, poursuivre vers le Petit Som ou accomplir la boucle des trois passages. Les itinéraires en boucle ont toujours eu ma préférence alors c’est par le Tracol que mes pas s’engagent. Je n’enlèverai mes peaux qu’au petit col pour une courte descente en versant nord et glacial. La qualité de la neige me fait descendre plus que de raison, alors au milieu de rien, il faut remette les peaux pour rejoindre l’Alienard. Une fois encore la magie opère instantanément, la progression entre une végétation clairsemée est un vrai délice.
Éveille-toi, Vent du nord ! Viens, Vent du sud ! Souffle sur mon jardin et ses arômes s’exhaleront ! Qu’il entre dans son jardin, mon bien-aimé, qu’il en mange les fruits délicieux
Astucieusement, ma trace s’écarte du vallon vers l’est afin de jouir d’une descente exquise entre de grands arbres espacés. La pente me laisse glisser voluptueusement sous la canopée jusqu’à la prochaine clairière, celle du Habert de Billon. Le vent a dessiné de belles congères sur un doux relief qu’il est bon de traverser. Une trace s’échappe vers le col de l’Arpizon, suivons la tant il est agréable de progresser dans ce silence ouaté. J’avance comme dans un rêve entre les arbres chargés d’une neige qui commence à fondre sous l’ardeur du soleil. Bientôt le dernier col est dépassé, il est temps de descendre.
La voix de mon bien-aimé ! C’est lui, il vient… Il bondit sur les montagnes, il court sur les collines
La descente directe du col est un pur moment de plaisir, la neige sans être des plus légères est étonnamment facile à négocier sans la moindre trace pour gêner la trajectoire. La descente se poursuit voluptueusement jusqu’au charmant Habert de Chartroussette
Détourne de moi tes yeux, car ils me troublent. Ta chevelure : un troupeau de chèvres qui dévalent du Galaad. Tes dents : un troupeau de brebis qui remontent du bain ; chacune a sa jumelle, nulle n’en est privée
La balade se termine pas un sentier gorgé de poudreuse dévalant des montagnes. Tout me ramène au cantique des cantiques, ce magnifique texte d’une sensualité terrible de l’ancien testament. De retour à la maison j’écouterai la splendide version médiévale du Canticum Canticorum par l’ensemble Cantilena Antiqua, à moins que me prenne l’envie d’entendre la sulfureuse version de Bashung et sa muse Chloé Mons