Ce matin, à la Dent de Crolles, il n’y avait qu’elle et moi. Je suis arrivé sur un parking complètement déserté. Pas une voiture, du jamais vu ! Pourtant le ciel à l’aube était limpide et le bleu envahissait tout l’espace. Je n’ai pas pu résister à l’envie de faire un petit tour pour voir.
J’ai été surpris par cette ultime offensive de l’hiver. Au départ l’herbe est blanche d’une gelée mordante et la terre, imbibée des récentes pluies torrentielles, est croûtée de glace, laissant apparaître ça et là de surprenants cristaux de glaise. Heureusement le soleil rase la pente, n’offrant qu' un minimum de chaleur au sentier qui reste dur et peu glissant. Au col des Ayes, c’est calme, voila qui laisse espérer une opportunité de vol. Il reste encore le risque des nuages de condensations. Ils sont déjà nombreux sous le plateau et si le soleil réchauffe les faces Est, il est certain que l’humidité de la végétation va condenser en masse d’ici une heure. Mais je suis tuyauté par M.Caplain, cela devrait se couvrir par l’Ouest. Un rapide coup d’œil à l’horizon pour voir que notre météorologue local a encore une fois raison. Raison pour les nuages, mais aussi pour le vent puisqu'il n'y en a pas.
Une pluie verglaçante a couvert les rochers d’une petite pellicule de glace, comme une carapace. Il faut faire tomber cette gangue de glace dans certains passages, heureusement elle n’adhère pas trop et d’un coup de bâton les plaques traîtresses sautent comme du verre pillé.
Au sommet c’est la totale solitude, quelle que soit la direction où porte mon regard, c’est l'immensité désertique. La neige remplie les creux et le souffle de ces derniers jours a façonné d’étranges sculptures qui disparaîtront à la faveur de la première éclaircie, caprice éphémère du vent.
Bon, comme les nuages de hautes altitudes ont envahi le ciel, inutile d’attendre le thermique, d’autant plus qu’une petite brise, certes un peu fraîche, me caresse la joue et m’invite à déplier ma voile sans plus tarder. Le ciel est passé du bleu cobalt au gris de plomb. Au loin semble se dessiner les premières pluies, on dirait que les cirrus coulent en de mornes cascades filandreuses. Il est grand temps de décoller. Petite impulsion et toutes les ficelles se tendent une à une, pour finalement annihiler toute pesanteur. Le sol s’éloigne doucement et me voici libéré. Bienvenue dans la nouvelle dimension. J’observais dimanche les chocards qui s’éclataient dans le vent tempétueux sous les crêtes de Pierre Blanche et j’entrevois tout le plaisir qu’ils peuvent ressentir. Evidement nous autres, on est un peu gauche avec nos bouts de tissus mais enfin, je ne bouderai pas ce menu plaisir de me croire tout à coup volatile. Si la réincarnation existe, je prendrais bien l’option Chocard ou Corbak !
Vol tranquille dans une ambiance encore bien stable, la masse d’air est déjà en mouvement mais elle semble comme visqueuse, amortissant tous les courants. Bien sûr je prends la décision de descendre jusqu’en bas, alors que la circulation routière est des plus réduite. Une fois la voile rangée dans le petit sac, je me place au bord de la route, le pouce en l’air. C’est marrant mais tant que c’étaient de belles bagnoles, je n’avais guère d’espoir, c’est quand j’ai vu surgir une BX bien pourrie que je me suis dit que cette voiture allait s’arrêter. Hé oui ! Faut-il en tirer une conclusion ? En tout cas je me suis confondu en remerciements, avant de terminer à pied depuis le plateau jusqu’au col du Coq. A la voiture, il pleuvait dru.