Hier soir, les oracles étaient formels, le vent de Sud-Ouest doit souffler faiblement sur nos montagnes. J'ai bien consulté les runes pour trouver un objectif nouveau. Hélas en revenant d'une soirée à l'extérieur, il faut bien reconnaître que faire preuve d'originalité à minuit n'est pas chose facile. Aussi suis-je allé au pieu légèrement déprimé de mon choix de minuit trente : ce sera un énième dôme de Bellefont. N' est-ce pas la meilleure destination pour un soaring compte tenu des données météorologiques ?
Au petit matin me voici donc à Perquelin avec armes et bagages. Il fait 9° et le début de la marche finit de me réveiller, short et tee-shirt sont bien légers avant la mise en température de la machine. L'humidité ambiante est élevée, j'en veux pour preuve les innombrables escargots de bourgogne qui filent sous mes pas, la vigilance est de mise pour ne pas en écrabouiller ! Depuis que le ramassage des escargots ne se pratique plus, la population gastéropode est en progression exponentielle !
Une halte à la cabane permet de boire un bon coup à cette source généreuse et pure. Je me doute bien qu'il doit y avoir du vent là -haut puisque déjà au col de Saulce, les arbustes fraichement feuillus bruissaient dans le silence de l'aube. Effectivement et comme d'habitude, le vent devient sensible à l'approche des derniers lacets. Au col de Bellefont, la brise, comprimée par les deux bastions encadrant le col, ne semble pas compatible avec la pratique aérienne du parapente. Tout au plus eut-il été plus rentable de monter un cerf-volant !
Mais ne soyons pas défaitistes, il est, d'expérience, possible que les vents soient moins violents sur la ligne de crête reliant la Dent de Crolles au Granier. Le plus simple est d'aller y jeter un œil, dans le pire des cas, je profiterai du spectacle offert par le dégagement de la barrière Est. Non seulement la vue est impressionnante, mais en plus la brise semble cette fois compatible avec ma voile. Certes l'exercice risque d'être sportif mais néanmoins raisonnable.
J'étale très très sommairement la voile car dans cette brise légèrement travers de 25 Km/h, il est inutile d'espérer déplier tout le tissu sans le voir s'envoler sans cesse. Le gonflage face à la voile s'impose, ne serait-ce que pour observer le bon déploiement de ce paquet de ficelles. Effectivement l'analyse sommaire des suspentes me donnera raison. Une méga clé aurait rendu la voile aussi volante qu'une enclume. Après avoir mis de l'ordre dans la pelote de fils, je tends très légèrement les avants. Dans cette brise, la voile ne demande qu'à se gonfler. Elles marsouine furieusement au sol, impatiente de se retrouver en l'air. Il me faut avaler les freins avec insistance pour ne pas être dépassé par les évènements. Il m'a suffit d'attendre un amollissement de la brise pour détendre ma traction sur les freins, avec pour conséquence immédiate de voir la voile monter comme une fusée au dessus de ma tête. Un demi-tour et je suis happé par la masse d'air, d'abord vers le haut, puis en avant toute, par dessus ce vent qui s'accélère aux abord des crêtes. Je me bénis pour une fois d'être sous-toilé.
La pédale d'accélérateur à proximité, j'observe le sol qui se dérobe. C'est bon, j'avance vers l'attéro ! selon une vitesse sinon rapide, du moins perceptible. Évidemment au vu des conditions, je n'aurais pas l'audace de frimer devant les randonneurs au col. Je préfère discrètement m'éclipser car la perspective de me faire reculer derrière le col avec son lot de turbulences terrifiantes n'est pas pour me motiver.
Le vol se passe sans l'ombre d'une fermeture malgré une trajectoire un peu chaotique. Reste plus qu'à tout remballer sur une herbe déjà bien séchée par le ventilateur du vent de vallée. Décoiffant comme vol !