La brume froide et visqueuse est restée au fond de la vallée de l'Isère, comme du mercure au fond d'une assiette, ici, tout contre la montagne, la prairie se réchauffe doucement sous l'action d'une étrange lumière, sa couleur si particulière d'octobre rend l'atmosphère apaisante. Des génisses encore paresseuses terminent leur nuit glaciale et profitent des premiers rayons pour gagner quelques précieuses calories. Il n'est pas encore question de brouter l'herbe blanchie de gel, plus tard, la journée promet d'être douce.
Ce long sentier qui chemine sans virage à travers la grande combe du Morbié n'est même pas monotone, Un chasseur transi est aux abois, il faut dire qu'il est juste à coté de son énorme 4X4, ce n'est pas la marche qui l'aura réchauffé. Pourtant l'air immobile n'est pas désagréable, il me faut même tomber le pull et c'est en teeshirt que j'arriverai au col de la Sciaz. Sur la dernière crête sommitale, la brise du sud est maintenant perceptible, mais rien de bien méchant, elle apporte la certitude d'un décollage facile sur les pentes maintenant dégarnies de l'épaisse végétation estivale.
Comme la brise est parfaitement orientée, je déballe sommairement la voile et commence une petite séance de gonflage, la brise n'est pas assez constante, c'est un peu laborieux. Alors je pose la voile sur son bord de fuite, les caissons largement ouverts, et me retourne, une petite pression sur les suspentes et la voile se lève d'un bloc, il ne reste plus qu'à avancer vers la vallée, les lois de l'aérodynamisme du profil du parapente feront le reste, le vent du sud me cueille gentiment, il ne reste plus qu'a enrouler les boulets qui passent, il est 11h45, ça s'installe doucement, quelques tours sur le sommet et je file vers l'attéro. Un troupeau de biquettes a pris possession des prairies ceignant le sommet.
survoler les stupéfiantes couleurs de l'automne jusqu'à la prairie du départ maintenant baignée d'un franc soleil est un plaisir de fin gourmet. Un feu de paille sèche génère une belle colonne de fumée, me fournissant ainsi l'indication importante de la direction et de la force du vent de vallée. Les génisses encore couchées regardent d'un oeil torve ce gros papillon orange qui descend du ciel, à la faveur d'un thermique qui passe et balaye la pente, mon point d'impact est plus loin que prévu, c'est donc en plein milieu des vaches étonnées que je me pose dans l'affolement général, heureusement la frousse est de courte durée, elles viennent à ma rencontre, curieuses et placides à la fois.
C'est avec les puissants cors de la première symphonie de Brahms que je termine la balade dans une version enflammée de l'orchestre de Chicago, galvanisé par le chef italien Carlos Maria Giulini, l'hiver approche, mais l'automne nous laisse encore un répit, profitons-en !