Mauvaises conditions au sommet de la Galoppaz.
Il ne faut pas plus des prévisions optimistes de Maitre Caplain pour me décider à partir marcher. Le sol encore trempé des pluies de la nuit n'engage pas à la promenade, cependant en passant sous Belledonne, la nature me gratifie d'un spectacle extraordinaire, une vive lueur orange filtre à travers un beau nuage blanc posé sur les sommets, pendant qu'ailleurs de sombres masses nuageuses noires comme des corbeaux donnent aux montagnes une allure irréelle. C'est justement à ce moment qu'a la radio Hélène Grimaud raconte qu'elle a plus souvent vu dieu sur les sommets plutôt qu'a l'église ! N'aurait elle pas raison ? Peu importe, moi c'est pas dieu que je cherche mais plutôt l'occasion de faire un beau vol, c'est plus rationnel!
En montant vers Puygros, passe maintenant la dernière scène du Dialogue des Carmélites... cette terrible montée à l'échafaud dans une scansion implacable, voilà qui fait froid dans le dos.... Bon, pour le moment la nature semble immobile, mais cet extrait musical est perçu comme un funeste présage. Par ailleurs Caplain ne s'est pas gouré, il ne devrait déjà pas pleuvoir, il y a même du bleu entre les hauts nuages. C'est un peu en dessous de la prairie que les indices d'un vent défavorable s'est fait sentir. Avec les feuilles sèches encore collées aux arbres, le vent fait un raffut de tous les diables.
J'arrive sur la grande échine sud de la Gallopaz, celle qui matérialise la longue épine dorsale des Bauges. Là encore, ce n'est pas engageant, le vent météo vient de l'orient, c'est vraiment pas bon pour ce sommet, Ah comme j'aimerais être au Morbié comme la semaine dernière, il est là, à un jet de pierre ! Bon en attendant une petite visite au sommet s'impose. Pendant que je termine l'examen des conditions, un autre parapentiste arrive... Nous aboutissons aux mêmes conclusions: indécollable en nord comme en sud, avec ce vent d'Est à 20-25km/h, c'est râpé pour le vol. Mon homologue ne semble pas patient, encore moins que moi semble t'il puisqu'au bout de cinq minutes, il remet son gros sac Swing sur le dos, et entame la descente sans plus tarder.
Pour ma part, j'hésite à aller décoller en Est quitte à me poser à Aillon et tenter le stop pour retourner du bon coté. En me promenant sur le plateau, il est clair que la brise est parfaite, mais la présence d'un imposant dispositif anti évasion pour les vaches complique le décollage, il faut passer par dessus trois niveaux de barbelés tendus sur des piquets de fer pointus en rangs serrés. Si le ciel est encore limpide, il reste un gros nuage noir juste au dessus ma tête. Alors j'ourdis un plan tordu, il me faut étaler la voile à cheval sur l'arête sommitale face au plateau, la monter au dessus et avec ce vent - il serait logique de monter de quelques mètres - et enfin dégager par le nord, d'ailleurs le vent a très légèrement tourné, il est maintenant Est-nord-est....
Pendant la préparation, je n'arrive pas à m'enlever de la tête cette air de la dernière scène des Carmélites, je vois les nonnes monter une à une sur l'échafaud.... le chœur devient quatuor, puis trio, puis duo avant que ne reste plus que Blanche de la Force.... Face à son destin. Bon allez Michel, arrête ton cinéma, tout va bien se passer, d'ailleurs maintenant avec cette petite composante nord, je ne vais même pas passer sous le vent.
Prégonflage, repose de la voile maintenant en parfait arc de cercle face au vent, toutes ficelles dénouées et hop, le scénario se passe exactement comme prévu, je me retrouve bien au dessus dans une brise laminaire, un grand virage vers la gauche me donne enfin l'espace nécessaire pour un dégagement en toute sécurité, le vol n'est même pas turbulent, le reste n'est que gourmandise, le sommet s'éloigne pendant que Puygros approche lentement.
Plus jamais Blanche de la force, au retour je mets plutôt la délicieuse bande originale du dernier western des frères Cohen, une musique roborative et magique.