Quoi de plus exaltant que de décoller du Grand Colon?
Ce matin en me levant fort tard, le constat est le suivant : toujours aucune mer de nuage dans le ciel, et si vers le sud tout est limpide, au nord en revanche traine une couverture glauque de nuages gris à une altitude mal définie. N'ayant pas envie de faire des kilomètres, ce sera Belledonne si les nuages ne l'ont pas déjà assailli. Place de la Bastille au détour de l'extrême pointe sud de la Chartreuse, la gracieuse silhouette de la belle dame se découpe dans un dégradé de bleus des plus attirants.
Comme il est tard et que nous sommes dimanche, il est fort probable que les randonneurs seront nombreux à courir les beaux sentiers du massif, alors je tente la montée en stop. Il est 7h45 et je me donne un quart d'heure à lever le pouce sinon j'abandonne le plan stop. En trois minutes, quatre voitures passent et s'arrêtent, les trois premières ramènent les croissants du petit dej à Revel, je décline poliment leur offre de transport, la quatrième sera la bonne, deux randonneurs qui projettent la Grande Lance. Parfait! Y a plus qu'à espérer que ça vole sinon faudra descendre en stop!!!
Je n'aurai pas vu grand monde au Grand Colon, un groupe de jeunes se réveille à la cabane du Colon, ils prennent le petit déjeuner sur la terrasse devant une flambée agréable. Ils sont marrants, tous habillés de vêtements colorés trop larges et coiffés de beaux bonnets de laine multicolores. Des néo baba-cools pourrait-on dire. La présence de mon parapente sur le dos les émerveille.
- Tu vas voler de là-haut? Trop cool ! Je vois bien dans leurs yeux qu'hier soir ils ont dû eux aussi planer... jusqu'à la Jamaïque et la perspective d'un petit rab supplémentaire serait bien à leur goût, n'ayant pas de voile bi-place à leur proposer, je poursuis mon chemin.
Le ciel de Belledonne est toujours aussi limpide, pourtant, le Vercors et la Chartreuse se couvrent d'une multitude de cumulus, comme si une armée de petits soldats blancs marchaient vers moi. L'air est calme, pas un frémissement dans la prairie devenue totalement jaune et sèche, la solitude est totale, j'avance d'un bon pas jusqu'à avoir la certitude d'arriver là-haut avant les nuées. Une fois sur la dernière pente, plus la peine de se presser, la partie est pour ainsi dire gagnée, les nuages se massent à l'horizon mais ils refusent de traverser l'Isère, même si deux petites sentinelles se blottissent déjà sur les flancs inférieurs de la montagne.
Alors tranquillement, j'ai pu gouter tout le bonheur d'être là-haut, à voir dans chaque sommet une anecdote, un souvenir, le Mont-Blanc se cache derrière le Grand Replomb. J'ai pu me remplir les poumons de cette brise si douce - par chance parfaitement orientée. Et pour parfaire ce moment de plénitude, il a suffi d'étaler l'immense tissu orange sur la prairie idéale du décollage Ouest, mettre un peu d'ordre dans les innombrables ficelles, prendre une dernière respiration et courir... Il n'a pas fallu longtemps avant de rentrer dans la troisième dimension. La question de l'atterro ne se pose même pas puisque la voiture est tout en bas.
C'est parti pour une douce descente à voir défiler sous mes pieds l'épaisse forêt de conifères, puis les vertes prairies de Revel et enfin les resplendissants bois avant la vallée. Il serait malhonnête de taire la petite angoisse qui m'a saisi peu après le début du vol, un fort courant de nord venu de je ne sais où est venu contrarier ma descente, à tel point que pendant quelques minutes, ma finesse est devenue inférieure à la trajectoire projetée. Je le sais parce que les petites maisons dans la vallée se sont tout à coup cachées derrière l'ultime repli de relief.... Il eut été décevant de se poser à Revel. Mais finalement plus bas la brise qui me faisait avancer méchamment en crabe s'est calmée, la vallée est redevenue accessible et j'ai pu terminer mon vol tout en goutant de nouveau au spectacle des petites scènes qui se déroulent en dessous, ici un apiculteur met sa ruche en hivernage, là des enfants jouent dans une cour de ferme, plus loin un chevreuil ignore totalement qu'il est sous haute et pacifique surveillance.
Le Vol-rando, c'est trop beau !