PLAISIRS A LA GRANDE ROCHE ST MICHEL - 4-
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PERCEPTIONS…
Dimanche 25 mars.
Aujourd’hui encore, je marche vers la falaise de la Grande Roche St Michel…
Aujourd’hui encore, je monte dans ces sous-bois qui dominent le Peuil..
Aujourd’hui toujours, je prends l’oxygène !! Le vrai, le grand oxygène !!
Cet oxygène de l’espace, cet oxygène de la belle nature, cet oxygène des mouvements primitifs, cet oxygène que l’on peut appeler : la liberté…
Cet oxygène aussi, qui me gonfle les poumons, sous l’impact des efforts nécessaires à la montée. En effet, je monte droit dans la pente. Droit, c’est le chemin le plus court vers les falaises, quand il n’y a plus de sentier. Droit vers le haut, c’est le chemin que j’aime, et qui me permet de doser l’effort, pour l’adapter pile-poil à la capacité des muscles…
J’aime cet effort…
Il permet de ne plus penser à autre chose ; qu’à lui, justement !
Cet effort maxi oblige à tout concentrer sur la précision des pas, des mouvements, la synchronisation des équilibres…
Il n’y a pas de place pour autre chose.
Il n’y a pas de place pour une quelconque pollution.
Oui c’est çà !
Plus de pollution…
Mon esprit décroche.
Je ralentis le rythme. La montée est encore longue, et je n’arriverai pas en haut si je continue ainsi. Je ralentis la fréquence, et raccourcis les enjambés. Tout de suite cela va mieux au niveau du cœur et de ses pulsations.
Du coup, un sens de perception, qui jusque là était noyé dans la violence de la tempête, un sens de perception revient à la surface…
Ce n’est pas l’odorat. L’odorat, pour moi, c’est le parent pauvre. Il n’est pas bien fortiche, ni bien capable. Dans l’instant, comme à peu près tout le temps, il ne me dit rien.
Ce n’est pas non plus le goût, lui qui est perdu dans le courant d’air oscillant de la bouche aux poumons. Il n’y a plus de place pour le goût dans ce désert aride de ma gorge.
La vue et le toucher sont en service commandé pour accomplir la marche, la montée, que j’ai décidée. Ils travaillent sur le mode « Automatique », grâce à la longue habitude qu’ils ont de ces randonnées faites ensemble depuis la petite enfance… Ils sont bien là, actifs, mais ne peuvent pas dégager de marge de manœuvre pour détecter autre chose que ce à quoi ils sont affectés.
C’est le cinquième sens, l’ouïe, qui revient à la surface.
L’ouïe …
Libérée du carcan imposé par l’effort, l’ouïe revient…
Les sons…
Les bruits…
Et, au bout de quelques minutes, prêtant progressivement mon attention à ces sons, à ces bruits, je distingue trois plans, trois fonds sonores, différents, autonomes. Trois fonds sonores qui se superposent, qui s’entremêlent, qui évoquent des ambiances bien tranchées…
En premier, le plus net, j’entends les voix des enfants qui jouent, en bas, dans les près du Peuil. Ce dimanche début d’après-midi, quelques familles sont venues là, pour profiter de la belle journée. Leurs enfants jouent ; ils crient, s’interpellent. Ils rient aussi…
Parfois un silence… Un silence long.
Et puis tout d’un coup, jailli à nouveau un appel, un autre cri…
Les sons aigus de leur jeunesse traversent les distances. Et moi, qui ne suis tout compte fait qu’à trois ou quatre cents mètres d’eux, je reçois leurs cris comme des cadeaux. Le cadeau de leur joie ; le cadeau de leur bonheur simple mais plein. Ces cris signifient la vitalité. Ils évoquent aussi pour moi, l’ambiance de cour de récréation dans une école primaire…
Je me sens porté par cette ambiance de Vie…
C’est le bonheur par transmission…
Le deuxième fond sonore est plutôt faible, plus sourd. Il est continu.
C’est le bruit de la vallée, que j’entends au fur et à mesure que je monte sur les pentes. Grenoble, et toutes ses communes attenantes, sont là tout proche. Cette fois les distances sont de l’ordre de quelques kilomètres.
Ce bruit, résultat de la circulation des véhicules dans les rues et sur les routes, ce bruit est permanent. A peine y a t-il quelques modulations, créées par une moto dont le pilote pousse le moteur dans les derniers retranchements.
Ce bruit, non localisable mais présent de partout, est presque inquiétant.
Il évoque aussi la multitude, l’agitation, qui sont notre lot quotidien, et dont je voudrais me couper en venant dans ce coin reculé.
Ce bruit ne me met pas très à l’aise, et gâche un peu le plaisir de l’instant…
Le troisième fond sonore est discontinu, rare, bref, presque brutal…
Celui-là est créé par la falaise.
En cette fin de printemps, avec une belle journée de soleil et de chaleur, la neige et la glace fondent. Les cailloux, libérés de ces liens, tombent. Certaines stalactites, pendues aux surplombs sommitaux, se décrochent également.
Tantôt de canon pour les premiers, tantôt de verres pour les autres, ces bruits de la falaise ne sont vraiment pas rassurants !!
Même si je me trouve à distance suffisante pour être en sécurité face à ces projectiles, il n’en reste pas moins que chacun provoque en moi une vive crainte. Presque même une douleur.
A chaque éclat, instinctivement, je tourne la tête dans la direction du son, cherche le caillou.
J’essaye de comprendre d’où il tombe, pour me rassurer ; pour jauger le degré réel du risque objectif.
J’aimerais en déduire que ce risque est si faible que la peur n’a pas de raison de me gagner. Et que l’envie de continuer peut toujours couler dans mes veines, sans crainte…
Ainsi, tout en montant vers la falaise, droit dans la pente, écoutais-je les sons et les bruits de ce bout de monde.
De la Vie des enfants, à l’activité du fond de vallée, et à la pierre qui tombe des hauteurs, ces trois fonds sonores se sont imposés à mon écoute, se superposant les uns sur les autres. Mais également, en étant liés les uns aux autres, comme dans un fondu-enchainé consécutif à ma progression depuis les près du Peuil, en bas, jusqu’aux pieds des falaises, là haut…
La fatigue de l’effort disparaissait…
La sérénité, tant recherchée, se diffusait en moi…
Seyssinet,