NOUVELLES D’EN MONTAGNE - 2 -
Le texte ci-dessous s’est amorcé par l’écriture d’une poésie. Le thème tire son origine de quelques balades en Vercors, dont quelques-unes dans les pentes sous la Grande Roche St Michel, ainsi que de l’observation de la nature. C’est en raison de son côté imaginaire, que j’ai opté pour le classer dans « Nouvelles d’en montagne ». Toutefois, il ne s’agit pas d’une histoire proprement dite mais plutôt d’une contemplation.
Quelques paragraphes en style narratif servent d’introduction afin d’amener le contexte et de faire pénétrer suffisamment dans l’atmosphère.
Je vous livre donc ce patchwork de phrases et de vers.
Pour un baiser
Janvier 2009.
Quand arrive l’hiver et son lot de temps mauvais, quand les neiges blanches et épaisses couvrent le sol de leur manteau, il se peut que l’on ressente quelques nostalgies. Ces nostalgies, dont je veux parler ainsi, sont celles des longues et hautes balades dans nos massifs préalpins, de ces sorties sur les vires et les balcons, à mi-chemin entre le sol et le ciel…
Oui, c’est vrai que dans ces jours de janvier, de février, le randonneur qui choisit de rester avec ses simples chaussures aux pieds, et qui ne prend ni raquettes ni skis, se trouve bien limité dans ses ambitions et ses déplacements.
Mais enfin qu’importe !
Si les longues soirées hivernales sont propices à la préparation, au peaufinement, de nouveaux projets pour la future belle saison, les courtes journées ne sont pourtant pas à négliger. Des explorations sont toujours possibles qui, dans des périmètres plus réduits évidemment, n’en sont pour autant pas moins attractives. Il suffit à cela d’un peu de recherche sur la carte, et d’imagination sur le terrain.
C’est ainsi que se sont ouverts, à moins de vingt minutes de voiture de la maison, quelques nouveaux territoires d’investigation, aussi inattendus que fertiles.
Déjà au cours de l’été 2006 j’avais repéré certaines de ces curiosités !?
Dans la forêt dominant le Peuil, au bord de chemins parfois peu fréquentés, se trouvent des zones particulières et surprenantes : planes, circulaires, faisant entre cinq et huit mètres de diamètre, elles sont à moitié creusées à flanc du versant. Je ne savais pas ce dont il s’agissait mais, malgré une végétation déjà envahissante, j’avais bien l’intuition que c’étaient là des aménagements faits par les hommes. La raison de leur réalisation m’échappait. Une chose pourtant me restait, à observer ces curieuses terrasses dans la forêt : c’était l’envie de venir passer quelque moment de farniente sur l’une d’elles, juste pour profiter du plaisir d’être là au calme, dans les sons et les bruits du sous-bois.
Entraîné jusqu’ici par d’autres péripéties, plus agitées, je n’ai pas encore réalisé ce petit rêve.
C’est au cours du printemps 2008 que j’ai appris ce que sont ces plates-formes en forêt.
Ce sont des charbonnières.
J’appris ainsi que, jusque dans le courant du siècle passé, de rudes gaillards, vivant dans ces versants des Préalpes, faisaient brûler le bois pour obtenir du charbon de bois. Ce charbon de bois, ils allaient ensuite le vendre dans la vallée à des industries de métallurgie, de cristallerie ou de céramique. Ces hommes, aux visages et aux corps noircis par les fumées, s’appelaient évidemment les charbonniers.
Pour faire brûler ce bois, et parce qu’ils le faisaient sur place dans les travers pentus, il était nécessaire de construire une petite plate-forme. Creusée dans la montagne pour son côté amont, cette plate-forme était aussi, vers l’aval, soutenue par un muret en pierres.
Les charbonniers disposaient alors leur bois sur la terrasse, en un volume semi-sphérique, le recouvrait de terre pour limiter les entrées d’air de combustion, puis le faisait brûler à l’étouffée pendant une douzaine ou une quinzaine de jours, suivant le volume ou le type des pièces de bois empilées.
Dispersées dans les versants, ces charbonnières sont bien plus nombreuses qu’on ne l’imaginerait, et leurs emplacements étaient évidemment choisis de façon à pouvoir rassembler facilement le bois à brûler.
De nombreux chemins tracés dans les versants, permettaient de descendre le charbon de bois, à dos de mulet, jusqu’aux clients de la vallée.
De toute cette activité montagnarde, éteinte parce que les temps ont changé, ne subsistent aujourd’hui que les traces parfois ténues de ces sentiers, et les plates-formes, toujours surprenantes, parfois attachantes, au milieu de la pente.
Ce fut notamment dans la forêt du cirque d’Archiane, sous les falaises de Glandasse, que je découvris de grandes charbonnières au milieu de la forêt. Là-haut, dans cette forêt aujourd’hui reconstituée et dont les hêtres aux troncs rectilignes et imposants confèrent une ambiance gonflée de sérénité, là-haut donc ces belles charbonnières instillent l’envie de s’arrêter plus longtemps, et laissent ce goût « de reviens-y » qui se distille lentement au feu des soirées d’hiver…
Février 2009.
Dimanche pluvieux…
Quelques heures de disponibilité.
Je choisis d’aller voir, un peu en dessous de la Grande Roche St Michel, une falaise qui se voit mieux en hiver, lorsque les feuilles sont tombées des branches, qu’en été quand la forêt a toute sa verdure : les rochers roux. L’apparence du caillou n’est pas bien belle, et devrait m’inspirer de m’éloigner vite de ce coin… Je persiste quand même. Cherchant à passer dans les zones où je croyais que personne ne venait, un chemin-coquin me prouve que depuis longtemps tout est couru et re-couru dans le secteur ! Ce ne sera pas aujourd’hui que la grande découverte aura lieu !
Et pourtant…
Suivant donc le chemin vers le haut, il mène en direction du sentier du Périmètre.
Et c’est là, juste en bordure du chemin, que se trouve la charbonnière. Elle est mignonne, bien ronde, pas très grande. Une couche de neige subsiste sur la partie plane.
A gauche, vers l’aval, un mur presque haut d’un mètre est visible. Bien qu’écroulé sur un petit bout, ce mur est encore en bonne tenue, et quelques chênes ont poussé contre lui.
Je m’arrête, sourire aux lèvres.
Et c’est en faisant le tour que je l’ai vu !
Parmi le lot de ces chênes, plutôt petits, l’un est tout à fait particulier.
Poussé au pied du mur, presque tout contre, ce chêne a fini par toucher l’une des pierres du mur. Sous l’action de ce contact, au fur et à mesure du temps qui a passé et, du fait du grossissement du tronc, l’écorce du chêne s’est déformée, s’est écartée en deux moitiés, et a fini par envelopper la pierre comme s’il s’agissait des deux lèvres d’une bouche !!!
Je reste debout, surpris par cette acrobatie de la nature, interloqué par cette capacité du végétal à s’adapter à une circonstance nouvelle, un peu violente en l’occurrence, mais enchanté par l’image que m’offrent, ensemble, l’arbre et la pierre, de leur rencontre improbable ! En m’approchant, je peux voir combien est formidable cette adaptation de l’arbre qui, coincé, déchiré par le dur calcaire, a su quand même trouver les solutions pour ne pas souffrir trop, ni mourir, de cet accident. Prenant le tronc à deux mains, je le bouge latéralement et constate qu’il se décale sans difficulté du caillou. Je vois alors en creux l’exacte forme de la pierre, perçant et l’écorce et l’aubier, pour en arriver jusqu’au bois profond…
J’en reste ahuri…
L’image d’une rencontre improbable…
Ce n’est que petit à petit que ma vision de ce spectacle s’est modifiée.
Elle a changé.
Cette vision s’est même complètement inversé !
Par l’effet de je ne sais quelle pirouette, cette perception d’une situation somme toute due au simple hasard, de ce que l’on appellerait un accident de la nature, cette perception se transformait en l’intuition qu’il y avait là, plutôt, le résultat d’un choix, l’aboutissement d’une volonté, et la réussite d’un incroyable mouvement au long cours !
Et si le chêne avait voulu s’approcher tout contre la pierre !?
Si ce chêne avait choisi de pousser là, exactement là, parce qu’il aurait voulu embrasser cette pierre !!?
Lui faire un baiser…
Amoureux ?
Un chêne ??
Comment une telle idée pouvait ainsi naître dans l’esprit ?
Peut-on croire à ce point en l’existence d’une nature végétale pensante, douée de volonté, et qui ensuite serait capable d’une telle mise en œuvre ?
Non vraiment, c’est trop délirant…
Pourtant, malgré les minutes qui passent, l’idée ne s’en va pas et, au contraire, elle persiste, se précise, s’affine, s’argumente, se structure, s’impose, et finit par être aussi claire qu’une eau de source : un grand chêne, là à côté, tout proche, est tombé amoureux d’une pierre du mur.
De cette pierre-là, justement !
Ce qui est sous mes yeux, c’est le résultat de cet amour inconcevable, normalement inimaginable, mais qui pourtant existe bel et bien et qui fournit le plus surprenant et le plus émouvant des spectacles : le baiser du chêne à la pierre…
Je me laissais emporter par cette poésie…
Ce ne fut que quelques jours plus tard, à la maison, que les mots sont tombés sur le papier.
En rythme…
Des sonorités, qui rebondissaient les unes avec les autres…
En un jet, ou presque, les phrases sont sorties du stylo, comme envoyées de je ne sais où…
C’était l’histoire du chêne et de la pierre…
Et elle prenait la forme d’un poème.
Cette poésie emprunte parfois un style inspiré de textes bien connus, et de textes de bien plus haute volée. Il ne faut pas y voir à malice. C’est juste une façon de clin d’œil.
Ce style en est également un peu brut, par endroit mal dégrossi…
J’ai tâché d’en améliorer les tournures, mais il vaut mieux en rester là…
Je ne saurai faire plus.
Si je mets malgré tout en ligne cette poésie, que certains pourraient ressentir comme un plagiat, ce n’est que pour chanter la montagne et sa nature, forte, belle, émouvante, en utilisant pour cela toutes les formes possibles qu’offrent les textes et les mots…
Et puis, quant à trouver meilleur moyen, meilleure place, que Bivouak.net pour diffuser ces odes à la montagne, je ne connais pas.
Alors…
LE CHÊNE ET LA PIERRE
Un chêne déjà grand, vers le sol se penchait.
Trois mètres sous ses feuilles se trouvait une pierre
Qui, dans un mur, avec d’autres bien alignée,
Soutenait par sa force une ancienne charbonnière.
A chaque jour nouveau, l’attention du chêne,
Vers cette belle pierre, s’augmentait par deux.
Vouloir s’en détourner lui créait trop de peines ;
A n’en point douter, le chêne était amoureux !
Mais comment peut-on faire, quand on est si haut
Pour rejoindre en bas l’objet de ses désirs ?
Profitant de l’été et d’un de ses vents chauds
Il laissa choir un gland, porté par le zéphyr.
Déposé au pied du mur, le gland se cala
Sous les feuilles et les mousses. Dans ce petit nid,
À l’abri des grands froids et du mauvais climat,
Il resta protégé ; l’hiver fut sans souci.
Le printemps venu, réchauffé par le soleil,
Le gland planta racines vers le profond du sol.
Il y trouva les forces pour son premier éveil
Et l’énergie aussi pour lancer son envol.
C’est au cours de l’été que, par cette volonté,
Une tige frêle sortit à travers le chapeau,
Etirant lentement un bois fin et léger,
Bien à la verticale, et droit vers le haut.
Avec ce tronc nouveau, encore maigre et mou,
Le chêne savait, c’est sûr, qu’il tenait le bon bout.
De la pierre maintenant, en allongeant le fût,
Il allait s’approcher et, sous peu, toucher au but.
A la fin novembre de la première saison,
Il mesurait quelques petits millimètres !
Qu’à cela ne tienne, il n’est pas de passion
Qui ne saurait vaincre l’ultime dernier mètre !
La pierre était toujours là. Elle n’avait pas bougé.
A son mur de soutien, elle était occupée.
Après deux saisons, l’arbrisseau toujours montait.
A trois saisons : il faisait déjà dix centimètres,
Et continuant ainsi, de la Belle il s’approchait.
En cinq saisons, il taillait deux décimètres.
A partir de dix saisons, pierre et chêne se faisaient face.
Mais la taille du tronc ne comblait encore l’espace.
Ce fut au quinzième été, âge d’adolescence,
Que grossissant son diamètre, il atteint la délivrance.
Frôlant « pierre la belle » du bout de son écorce,
Le contact tant désiré pouvait alors être tenté.
Ce n’était plus maintenant que manqueraient les forces,
Ce jour où enfin il allait donner un baiser.
Grandi par les années, aidé par les vents,
Le chêne pouvait embrasser la pierre.
De ses lèvres élargies, il la cajola ardemment,
Scellant-là l’union du bois et du calcaire.
D’un baiser si doux, et si longtemps mûri,
La Belle ne pouvait que d’être attendrie !
Et depuis lors il ne se passa plus de jour
Que les amants ne vécurent avec amour !
Pour le chêne patient, les décennies sont venues
Pendant lesquelles il pourra dire haut et fort
Ce désir qu’auparavant il avait contenu
Mais qui maintenant s’exprime au-dehors.
Quant à la pierre, issue du fond des millénaires,
Ce contact si bref pour elle, courtes décennies,
L’émut bien au-delà de l’imaginaire
Et redonna goût de fêtes à sa longue vie.
On ne saurait tirer de là quelque morale,
D’autres, avant, surent fort bien nous en instruire.
Mais peut-on croire la nature tant banale
Quand on voit ainsi les élans qu’elle peut produire ?
Seyssinet, dimanche 29 mars 2009