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Pierre Beghin, l'impossible quête

Pierre Beghin, l'impossible quête

Mis à Jour le 2023-12-26 par Luc

 Pierre Béghin - retour portrait 

Article paru dans le Daubé - Antoine Chandellier / 18 juin 2014 - www.ledauphine.com

Pierre Beghin, l’impossible quête

Mort à 41 ans, il aurait pu être, tel Messner, le plus grand himalayiste sur les quatorze 8000. Taciturne, peu en veine, piètre communicant, le Grenoblois traînait dans son sac un héritage familial, à la fois lourd et exaltant. Bercé d’élitisme, élevé à la dure mais limite sur la sécurité, ses ailes du désir l’ont perdu dans l’éther de la haute altitude. Deux décennies après, trois alpinistes ont grimpé dans sa trace. Et son portrait est enfin brossé, par François Carrel. Itinéraire d’un “homme de tête”.

 Pierre Beghin sur l’arête sud-ouest du Daulaghiri (8167m) avec Jean-Noël Roche, une   de ses plus belles réalisations   (ci-dessus et ci-contre).
Pierre Beghin sur l’arête sud-ouest du Daulaghiri (8167m) avec Jean-Noël Roche, une de ses plus belles réalisations (ci-dessus et ci-contre).
 
Pierre Beghin a été élevé dans le culte de l’excellence. C’est ainsi qu’à force d’opiniâtreté, et malgré plusieurs échecs, il deviendra le spécialiste français de l’Himalaya, avec cinq 8000 gravis et la face nord du Jannu.
Pierre Beghin a été élevé dans le culte de l’excellence. C’est ainsi qu’à force d’opiniâtreté, et malgré plusieurs échecs, il deviendra le spécialiste français de l’Himalaya, avec cinq 8000 gravis et la face nord du Jannu.
 

C’est le dernier à l’avoir vu vivant. Ils n’avaient pu aller plus haut, ce 11 octobre 1992, à 7400 m d’altitude. Jean-Christophe Lafaille voit le point d’amarrage de leur rappel - un simple friend - lâcher et Beghin partir, tête tournée vers le ciel, regard figé, déjà sur les rives de l’au-delà : « Ses yeux sont là qui me transpercent ! » Lafaille mit alors « un visage sur la mort ». L’ingrate qui allait le cueillir, au Makalu, 11 ans après, happé par cette même attraction pour l’Himalaya en style alpin, sans artifice. Et sans filets, inspiré par son mentor. Les clés du destin de Beghin sont dans sa fin. Un itinéraire brisé dans la face sud de l’Annapurna, mythe persistant, avant qu’à l’automne dernier, un soliste suisse et une cordée française achèvent cette voie interrompue, non sans péril. Elle restera la “Lafaille-Begin”, dans les tablettes de l’Histoire.

À la force de 50 témoignages, le journaliste François Carrel a démêlé l’écheveau des fils d’une vie hors norme, dans une méticuleuse biographie, “L’homme de tête” (Guérin). Ou comment l’engagement d’un homme si rationnel le détache des pesanteurs terrestres jusqu’à fragiliser son instinct de survie.

Philosophie ascétique

Beghin a été élevé dans le culte de l’excellence, sous le regard exigeant d’un grand-père, autorité morale et agrégé de maths. Chez ces gens-là, Monsieur, on intègre Polytechnique. Lui ne fera “que” l’école des Mines de Saint-Etienne et transférera cette culture de l’élitisme en cet autre domaine au cœur des valeurs familiales : la montagne.

Chez les Beghin, on ne prend jamais le téléphérique. On pratique dans le dépouillement, avec un matériel rustique. Cette adolescence à s’endurcir forge sa vocation. « Nous avons toujours été dans l’idée de l’économie de moyens. Nos vélos étaient pourris, lourds mais robustes. Nos sacs à dos étaient de vieux Millet qui faisaient sacs de bivouac. Notre culture c’était : notre corps peut résister par lui-même donc nul besoin de débauche de matériel », explique son frère Claude. « Cette philosophie ascétique marque profondément Pierre », relève Carrel. Couplé à l’élitisme familial, il façonnera son style.

Et puis il y a un ressort enfoui, sujet tabou, secret de famille. Un frère aîné mort jeune. Il incombe à son second de porter l’héritage et de réussir. Faut-il aller aux frontières de la psychogénéalogie pour déchiffrer l’énigme Beghin, sans limite “au pays de l’oxygène rare” ?

“C’était assez banzaï”

D’aucuns y verront le masochisme de ces alpinistes, espèce qui s’ébroue dans l’inconfort et l’effort. Écoutez Beghin, un Noël dans l’austère face nord des Grandes Jorasses : « La bataille s’annonçait longue et rude. N’était-ce pas ce que nous cherchions ? » Avant d’admettre, d’une litote lucide, que ce réveillon « fut glacial et moyennement drôle ». Son compagnon Xavier Fargeas se souvient d’un sens de la protection...relatif : « C’était assez banzaï, très limite sur le pitonnage et la sécurité. » A sa deuxième expédition himalayenne, Beghin tourne les talons. Amputé de neuf orteils. Il reviendra quatre fois pour réussir son premier 8000.

Les larmes de Carignon

Beghin, en décrochant un poste d’ingénieur à Grenoble, au Cemagref, se rapproche de son terrain d’aguerrissement. Il modélise des avalanches dans son laboratoire. Et s’entraîne comme un sportif de haut niveau, dont il décrochera le statut, première pour un alpiniste. Il enchaîne les allers-retours avec son domicile du Sappey-en-Chartreuse, en courant ou à vélo. L’ingénieur-athlète théorise sa préparation, suit ses tableaux de rations caloriques, raisonne en chercheur : « Il estimait que, s’il n’y arrivait pas, c’est qu’il s’y prenait mal. Il évaluait, mesurait les difficultés comme les moyens qu’il avait de les surmonter : ses échecs ne pouvaient donc pas, dans son esprit, découler d’une inadaptation de ses moyens, mais bien d’une erreur ou d’un hasard d’impondérable », selon Mohammed Naïm, son collègue au Cemagref. À force d’opiniâtreté, et malgré tant d’échecs (cinq à l’Everest !) Beghin devient le spécialiste français de l’Himalaya, avec cinq 8000 gravis et la face nord du Jannu. Les succès s’enchaînent, les premières, en solitaire parfois, par des voies nouvelles, comme au Makalu, en cordée alpine, comme au K2, avec Profit. Et toujours sans oxygène.

Avec moins de déveine, il aurait pu être l’égal d’un Messner. « Lui n’avait pas ce sens de la séduction, ne savait pas se vendre », relève son biographe inspiré. N’empêche, son début de notoriété vaut au peu expansif Beghin d’être courtisé. Par tradition républicaine, il s’occupe de son village. La politique l’intéresse. Gloire régionale des années 80, il se range derrière l’étoile montante du RPR : Alain Carignon. Un Carignon aujourd’hui en larmes à la simple évocation de son patronyme. Ce nom de Beghin, au fronton d’un lycée de Moirans, emblématique de l’alpinisme grenoblois. Mais tombé dans l’oubli auprès du public qui ne comprend pas que l’on puisse mourir pour un sommet.

Pierre Beghin, l’homme de tête, François Carrel, éditions Guérin.

 

 

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