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Bip, bip ! bip, bip ! bip, bip !
Ce maudit réveil sonne !
Quelle heure ?
2h45 ?
De l’après-midi ?
Mais non, il fait nuit, il est 2h45 du matin.
Mais je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, le réveil, je l’ai réglé.
Je m’habille, je saute dans ma voiture et c’est parti pour le versant nord du Mont Ventoux. Le petit déj’, la bouteille d’eau, presque tout est déjà dans la voiture. J’ai simplement rajouté le sac à dos.
Je déjeune en roulant dans les pentes du Col de Fontaube, une fois sorti du brouillard. Le vrai, celui avec des nuages, moi je suis bien réveillé.
Je traverse Brantes, le célèbre village, endormi (le village pas moi) et je descends dans la vallée du Toulourenc.
Je trouve facilement le parking : je suis venu reconnaître le départ la veille. Il fait déjà 13°C !
A 3h35, à la frontale, je m’élance dans la nuit étoilée et au clair de lune intermittent selon la densité de la forêt.
Pourquoi partir si tôt ?
J’aime l’odeur de la nuit, les bruits de la nuit, la part de mystère de la nuit, la petite peur du noir, souvent inconsciente. Je voulais marcher au clair de Lune, voir l’aube, puis l’aurore, je voulais voir le ciel changer de couleur, je voulais voir le lever du Soleil.
Et puis cette journée promettait d’être très chaude. Et même en descente les premières chaleurs de l’année sont pénibles.
Peu après le départ, j’entends japper un chien. pourtant il n’y à pas de bergerie à proximité. Le jour, je n’ai pas de problèmes avec les chiens. je ne les regardent pas. S’ils s’approchent de trop près, je ne bouge plus, sans les défier. Mais la nuit... un monstre peut surgir en silence de n’importe où, toutes dents dehors. Mais il semble que je m’éloigne dudit monstre. Ouf ! Rassuré je continue mon petit bonhomme de chemin allumant ou éteignant alternativement ma frontale en fonction de la lumière sélène.
Il me semble avoir perdu le balisage ! Je perd du temps à le chercher en vain. Il y a des pistes de partout ! Et puis je monte à l’instinct. Tous les chemins mènent forcément à la "Route Forestière du Col du Comte" qui traverse tout le versant nord du Mont Ventoux.
Je trouve quelques cairns, puis le balisage et j’atteins la route forestière. A la descente, je m’apercevrai que j’ai bien pris le bon itinéraire, mais que le balisage n’était pas forcément là où je le cherchais et qu’il est assez espacé. Le balisage n’est pas fait pour les randonneurs nocturnes.
Plus haut, sur le petit plateau, un grognement explose à quelques mètres de moi. Un sanglier ! La frontale était éteinte. je ne le vois pas, mais lui doit me voir. Je n’allume pas, je ne sort pas mon APN, je file sans demander mon reste. Mon courage a des limites ! Plus loin, c’est le bruit de fuite d’un gros volatile, peut-être un tétras.
Le ciel commence à prendre une teinte grise. Bientôt, je range ma frontale. L’aube est longue avant que les premières couleurs n’apparaissent dans le ciel.
Et puis les rares nuées se violacent et une frange orange apparaît à l’est. Le brouillard stagne dans les vallées, immobile. Peu à peu le gris vire vers le bleu et les nuages rosissent. J’arrive dans une trouée de la forêt vers 1300 mètres d’altitude. Le lieu d’observation est idéal et je m’arrête pour attendre. Le grand moment arrive ! Un rayon passe au-dessus de l’horizon et je vois le disque solaire s’élever et commencer sa course. Un nouveau jour vient de naître. L’inéluctable fuite du temps.
La hêtraie prend une couleur orange et c’est féerique.
A 6h35, j’arrive à l’Abri du Contrat c’est à dire à la hauteur du Mont Serein et je m’engage dans la dernière partie de l’ascension. Je surprend un chamois qui regarde le Soleil. Il ne m’a pas repéré et je peux le photographier.
Je continue l’ascension, la lumière est extraordinaire avec une dominante orangé.
Le décor devient de plus en plus minéral. On vient frôler la Combe de Fonfiole. Le sentier n’est pas très raide, il est donc long, très long. Les arbres se rabougrissent, les premiers cailloux blancs apparaissent sur le sentier, un dernier hêtre qui fait penser à un bonsaï et tout est blanc.
Le sentier vient à nouveau frôler la Combe de Fonfiole, il y a une sente, j’irai lui rendre une petite visite au retour.
A 8h05, je suis à la première table d’orientation. Pas un seul touriste ! C’est très rare au Mont Ventoux !
Peu de vent, température agréable et panorama sensationnel ! L’impression d’altitude est intense. Dominant les brouillards bleutés de la Vallée du Rhône, j’aperçois le Pilat, le Mont Gerbier de Jonc, le Mont Mézenc. Au sud le brouillard descend jusqu’à la Méditerranée. Les montagnes du Verdon sont bien visibles ainsi que toutes celles des Alpes de Haute-Provence, le Massif des Ecrins, le Grand Pic de Belledonne, les Grandes Rousses, les grands sommets du Dévoluy (Obiou, Grand Ferrand et Pic de Bure), le Mont Viso, toutes les montagnes de la Drôme Provençale et d’autres, beaucoup d’autres. Des Dentelles de Montmirail, la Crête du Mont Saint-Amand flotte dans le brouillard comme un navire, mais la Dent du Turc est engloutie. C’est magique !
Je vais voir la Chapelle de Sainte-Croix alors que le gérant de l’auberge arrive à son tour. Puis, c’est une équipe de maintenance des installations.
Je me trouve un coin face aux Alpes pour me restaurer. Les premiers cyclistes arrivent.
Savez-vous qu’il y a une petite querelle dans le monde du cyclisme de loisirs ? Entre ceux qui affirment que l’ascension par Bédoin est plus difficile que celle par Malaucène et ceux qui affirment le contraire.
Pourtant, un sage dont j’ai oublié le nom, a écrit que ceux qui peuvent monter par l’un des deux itinéraires sont capables de monter par l’autre. Que la vraie différence est celle entre le Ventoux du matin et le Ventoux de l’après midi. Avec un vélo, je suis toujours monté le matin. J’avais retenu la leçon du sage.
Les premiers touristes arrivent vers 9h40. Il est temps de leur laisser la place. Nous ne sommes pas du même monde.
Il est encore tôt, mais il fait déjà chaud. Je descends en flânant. je fais un petit tour dans la minérale et colorée Combe de Fonfiole. J’observe la diversité de la forêt, qui ne m’avait pas vraiment paru évidente à la lueur de la frontale. Le sentier était peu raide à la montée, il l’est aussi à descente et c’est une bénédiction pour les articulations.
Sur le petit plateau de l’épaule, à 900m d’altitude, il faut baisser la tête bien bas pour voir la vallée et la lever bien haut pour voir le sommet.
Au parking, je lève tête vers le sommet très haut dans le ciel. Et je pense au petit garçon qui passait ses vacances à Pierrelatte dans la Drôme et qui, souvent, entendait sa grand-mère dire : regarde Alain ! On voit le Ventoux !
Maintenant, il va me falloir inventer un nouveau projet. Peut-on vivre sans rêves ?
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