J'avais repéré cette trace de chamois la semaine dernière, lorsque avec Cathy et Rafaël nous avions descendu le pas Étoupe. Et depuis lors, elle était inscrite à la liste des balades à faire.
Ce mardi, je me retrouve dans le couloir sous le pas Étoupe et il n'est que 9 h à peine : je vais en profiter pour explorer le secteur, histoire de ramener quelque chose dans la besace.
D'abord ce fut la bonne surprise de trouver ce passage si agréable, et si commode, du couloir Dérobé. Je me retrouve ainsi sur les crêtes en quelques minutes seulement alors que je ne m'y attendais vraiment pas. Tout en casse-croûtant sur l'éperon sommital, j'admire à nouveau la trace qui file dans l'herbe de la vire, juste en-dessous. Elle est franchement nette, sans aucun cailloutis qui l'encombre, ce qui signifie une forte fréquentation du chemin. C'est bon signe !
Effectivement, dès le départ, la trace est bonne, très bonne. On se croirait sur un GR. C'est splendide ! Après le premier éperon, se découvre un cirque assez grand dans lequel la trace continue à l'horizontale. Bien qu'un peu plus fine, elle reste correcte, ce qui est franchement utile compte tenu de la forte déclivité côté gauche : ici, aucune erreur n'est possible, sinon on glisse et roule loin en-dessous...
Un couloir se présente, à traverser. Il a l'air moyennement sympathique.
L'accès au fond du couloir, par sa rive gauche donc, demande de l'attention, mais se fait finalement bien. Quelques mètres à descendre ensuite dans le fond, sur un cailloutis plutôt dur, et c'est la sortie en rive droite, dans un zone où le sol est rouge et bien meilleur qu'on ne l'aurait cru, sous un gros surplomb. Cette sortie est même plus agréable que je ne l'avais imaginée, vue d'en face.
La suite devient un enchantement.
La traversée continue, toujours sur cette belle trace, et amène au deuxième éperon.
De là s'ouvre un nouveau cirque, plus grand que le précédent, qui monte jusqu'au point culminant de la vire. En dessus de cette vire, des surplombs joufflus, d'une couleur gris-bleutée lessivée de larges coulures blanchâtres, dominent. En dessous, le vide se creuse en une barre rocheuse au calcaire fracturé et semblant peu solide. Entre deux, la vire resplendit avec son vert intense, et se resserre au fur et à mesure de son élan vers le haut. La trace quant à elle monte, légère, fine, culottée ! Elle s'approche des surplombs, pénètre dans les sols rouges à la commissure de la vire et de la falaise, et parvient, en un dernier rebond, à atteindre l'arête élégante qui se découpe dans le bleu du ciel...
Je reste là, longtemps, appareil photographique en mains, à admirer ce paysage si beau, tout à la fois repoussant et attirant, et dont je ne me lasse pas. Heureusement, je le sais d'expérience, que ces passages-là sont bien plus effrayants vus de loin qu'ils ne le sont en réalité quand on est dedans. C'est cela qui me rassure et me permet de continuer à avancer. C'est aussi l' envie de savoir ce qu'il y a à la suite...
Au moment où je débouche sur l'arête élégante, un bruit de cavalcade me fait lever les yeux. Un troupeau de 7 chamois vient de me voir, et quitte aussitôt l'abri ombragé de l'auvent sous lequel ils se reposaient. Ils courent droit dans la pente, soulevant un gros panache de poussière qu'une brise de chaleur amplifie faisant alors croire à un petit nuage. Immobile, je les suis des yeux, et en quelques secondes ils ont disparu sous une barre rocheuse, définitivement inaccessibles. C'est à peine croyable : l'intermède n'a pas duré dix secondes...
Après l'arête élégante, la vire s'approche de la falaise, se colle à elle. Un passage terreux, puis un passage rocheux, puis un balcon ludique, m'amènent vers la fin, je le vois bien.
Il faut descendre, maintenant...
Dans l'éboulis qui file vers le bas, je cherche l'équilibre, déstabilisé par ces cailloux qui ne tiennent pas en place. Je me retourne. Un énorme bombé de roches impressionne, là, juste au-dessus. Une escalade parcourt ces fissures qui montent, presque rectilignes, jusqu'au sommet. D’antan j'y serais allé ! J'aurais mis mes mains dans leurs anfractuosités, j'aurais saisi leurs aspérités, et serais sorti, heureux, enthousiasmé, sur les crêtes finales de ces superbes falaises !
Aujourd'hui, ces jeux-là ne peuvent plus avoir cours. Le corps, les muscles, l'esprit, ne suivent plus. L'effort est trop grand, qui ne peut plus être assumé.
Alors je m'adonne à d'autres choses, des choses différentes, plus adaptées à l'âge et aux capacités qui restent. Les vires dans les falaises, les cheminements des chamois et des bouquetins, sont devenus le nouvel attrait de ce terrain aux multiples possibilités. J'y trouve les mêmes saveurs qu'avant, et parfois même plus qu'avant car il y a, comme c'est le cas aujourd'hui, un parfum d'aventure. Ce parfum tient à la recherche du chemin dans les subtilités du décors, aidé bien sûr en cela par les traces des bêtes qui sont ici dans leur maison. Mais cette recherche, ces découvertes, ouvrent finalement bien plus d'horizons intérieurs que le simple fait, comme ça l'était avant, de suivre un itinéraire décrit sur une page ou dans un paragraphe...
Voilà : nulle nostalgie dans ces réflexions.
Simplement une description de ce que sont les évolutions, logiques, dues au temps qui passe.
Ce qui me compte, c'est que l'enthousiasme soit toujours là.
Et je crois que c'est bien le cas...