Malgré un ciel des plus sinistres déversant sur le sol une espèce de sorbet fondant, il est temps de sortir les spatules. Il faut se faire violence pour fourrer tout le matériel dans la caisse entre les gouttes mais une fois parti, la passion renait. Pour commencer c'est la route qui est une épreuve, rarement elle n'a été aussi glissante. Derrière le chasse neige, cela ne va pas assez vite, devant il n'est guère possible d'accélérer. A 40 à l'heure maximum, la voiture flotte sur la neige comme sur un tapis volant et tous les virages, bien que négociés au ralenti, sont pris en travers, bien malgré moi.... quelques voitures abandonnées dans le fossé sont pourtant des avertissements. Bref je suis bien content d'arriver au parking. La deuxième épreuve consiste à enfiler la pompe de ski droite... Tendre le pied est un exercice encore périlleux depuis mon entorse, mais finalement ça passe facilement.
La neige est présente en quantité et manifestement en qualité également. Il s'agit d’être patient ce n'est pas pour tout de suite la descente, il faut d'abord monter. La trace est belle, c'est donc en mode croisière que j'aborde ce parcours. J'aime beaucoup cette balade, c'est d'ailleurs pourquoi j'y vais si souvent, les sapins surchargés décorent joliment les bouts de falaises qui émergent soudainement du brouillard. Tout est dans un dégradé de gris réjouissant, il faut en profiter car plus on monte moins on y voit.
Avec l'espacement grandissant des arbres, la neige subit le modelage du vent, la poudreuse cède la place à des variations importantes de congères. En tout cas pour une première sortie, j'ai bien fait de ne pas prendre les skis cailloux, ils ne sont aujourd'hui d'aucune utilité, même en pleine saison, il n'y a pas autant de neige ! Sur la dernière cote, les rafales de vent se font glaciales, agressives même puisqu'elles sont chargées de morceaux de glace arrachés aux corniches voisines. Les ombres fantomatiques des pins rabougris apparaissent au dernier moment, la trace pourtant profonde finit par disparaître dans le blizzard. J'arrive au sommet en même temps qu'un autre skieur, la finesse des traits du peu que je vois de son visage laisse à penser que c'est une fille, effectivement le son de sa voix confirme mon appréciation, c'est une skieuse ! Nous nous mettons à l'abri pour pouvoir enlever les peaux sans perdre un doigt ou le sac qui ne demande qu'à s'envoler.
Bon la descente du Moucherotte n'est jamais fantastique, néanmoins avec une neige pareille et surtout avec si peu de traces, on arrive à se faire bien plaisir. C'est dommage, la brève apparition du soleil n'a pas concordé avec la descente, c'est donc dans une ambiance un tantinet brumeuse que la glissade vers le parking s'est déroulée sans encombre. La partie boisée est un régal, contrairement aux autres fois où il convient de repérer les pierres, aujourd'hui ce sont les parties vierges qu'il s'agit de viser. C'est drôlement pratique ces planches !
Une sortie des plus agréables, où les petits skieurs, disséminés dans ce désert blanc, sont autant de voyageurs solitaires, die Wanderer, comme le chante si bien Andreas Scholl dans son nouveau disque qui est une pure merveille.