Fuir ces contrées ventées et se réfugier à l'intérieur du relief, dans les replis périphériques des grandes sommets de la Vanoise par exemple. Mon objectif initial était à vrai dire plus modeste, la Dhui de Bozel, mais les conditions sont tellement accueillantes que, juste sous la dernière pente, mes pas refusent de prendre à gauche. Je suis irrésistiblement attiré plus loin, plus haut. L'air est doux et totalement inerte. La traversée des petites villages il y a une heure fut un enchantement, ici un ramoneur savoyard était en action dans une vieille maison de village, plus loin une mémé lavait son linge blanc dans l'eau glacée du Bachal, comme si rien n'avait changé depuis des siècles. Tincave est un village baigné de soleil, il fut un temps où il régnait en favori sur la vallée. L'or blanc aura changé la donne. Les villages de Courchevel et de la Tania ont pris leur revanche... A coup de programmes immobiliers d'horribles tours ont surgit du néant et le fric a fait le reste. A Tincave, tombé en disgrâce par faute d'un soleil trop généreux, le temps s'est immobilisé mais cela n'en demeure pas moins autrement plus vrai. Tout est comme avant, simple et proche de la nature exubérante qui l'entoure. Ici la vie est palpable alors qu'en face, le strass et les paillettes ont abruti la population ad nauseum.
C'est sur ces considérations que je double la mise... Le plaisir de marcher loin des installations futiles est trop grand. Continuons la balade jusqu'à en être étourdi. Certes, la route est encore longue et la neige ne facilite pas la progression. Oh elle n'est pas épaisse, mais la chaleur de ces derniers jours à transformé le sentier en un bourbier glissant et désagréable. Heureusement une vieille trace de raquette encore dure reste plus facile à suivre. C'est quand même un peu long, mais le cadre est tellement unique que le temps semble se comprimer dans un décor fascinant, qu'il est bon d'évoluer dans un cadre pareil.
Pourtant a l'approche de la crête on commence à voir les installations d'une autre station, La Plagne n'est plus très loin... Alors il faut quitter la piste qui y mène et prendre à pleine pente vers ce sommet étonnant, isolé sur le grand versant ensoleillé. Le vent bizarrement est nord, il dévale les pentes enneigées qu'il faut remonter. C'est parfait, les sirènes envoûtantes du décollage ne peuvent me disperser, il faut absolument monter au sommet pour y trouver une pente favorable à l'envol. Une dernière pente raide, heureusement peu enneigée, me permet d'atteindre enfin la cime. Les 1500m de dénivelé commence à se faire sentir. Les quelques bouquetins qui occupaient tout a l'heure le sommet ont disparu. Me voila seul au sommet face au décor éblouissant.
Le choix de la pente d'envol est cornélien, le vent est très faible mais de nord. La pente de décollage de ce côté est remplie d'une épaisse poudreuse rendant la course quasi impossible. Au sud c'est presque déneigé mais c'est vent de cul. Il est déjà treize heures et il est étonnant que la brise thermique n'entretienne pas une petite brise montante. Pourtant c'est là que je vais déplier la voile. Une fois tout le matos bien installé, un coup de bol va me rendre la vie bien facile. La brise s'inverse et me voila face au monde et à une petite brise coopérative, il ne m'en faut pas plus pour jubiler de plaisir. L'envol et le vol s'annoncent sous les meilleurs auspices. Une petite impulsion, la voile monte dans le ciel et quelques pas plus loin, le sol enneigé se dérobe, j'entre dans la troisième dimension.
Un vol paisible et tranquille et comme l'a si bien chanté B. Cantat mercredi dernier, maintenant l'éternité m'appartient, chaque seconde la contient. Le vol donne à la balade une dimension magique, c'est si bon de voler comme un oiseau. Au dessus de la Dhui, le thermique permet de faire durer encore le plaisir. A cette époque, ce ne sont pas des boulets de canon, mais une douce brise qui vous maintient doucement à la même altitude, il suffit de tourner tranquillement au dessus des sombres sapins plantés sur la pente raide et ensoleillée. A Bozel le vent de vallée est inexistant et le soleil caresse encore le village, mais cela ne va pas durer, pour moi le vol se termine et la saison aussi. C'est certainement le dernier vol de l'année, un petite opération d'entretien va me contraindre au repos dès lundi...