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Alors que je redescendais, la silhouette rouge postée devant la cabane de berger semblait me surveiller. Elle se décida finalement à me faire un petit geste de la main. Encore à bonne distance, je cherchais s'il était possible de cadrer une photo figurant ce minuscule tepee de bois devant l'immensité du paysage environnant, ses verts alpages et ses murailles rocheuses coupées par le plafond nuageux. J'avais passé toute la montée au pic de valsenestre à méditer sur la futilité des ascensions en montagne, qu'elles soient faciles ou pas, lointaines ou pas, accompagnées ou pas. J'en étais arrivé à la conclusion qu'il s'agissait d'un simple moyen de passer le temps comme un autre (d'échaper à sa condition aurait dit Malraux ?), au final pas pire ou meilleur que de s'adonner au tunning de peugeot 205 ou à la danse de salon. La montagne n'est qu'un tas de cailloux, que peut on y trouver hormis ce qu'on y apporte, c'est à dire soi même ? C'est ainsi que cet abri perdu au milieu de nulle part illustrait à merveille la vacuité de l'existance et qu'une photo souvenir s'imposait. Je m'imaginais déjà reconverti en pâtre, passant mes journées dans cette hutte comme diogène dans son tonneau...
Je répondis de loin au bonjour du berger qui s'affairait devant sa porte, un peu étonné par cet élan communicatif de la part d'un de ses hommes de montagne dialoguant plus avec ses bêtes qu'avec les humains. Contournant la cabane par le haut, je me dirigeais vers le chemin de descente qui effectuait une longue épingle de l'autre côté du valon tandis que le regard du berger me retenait par l'épaule. Jettant son sac sur son dos, il commença à dévaler la pente droit sur l'enclos des brebis situé en contrebas de la cabane. Le chemin qui finissait son lacet sur l'autre rive de la combe ne manqua pas de me renvoyer vers lui dont les clôtures longeaient une partie du sentier. A mesure que j'approchais son pas ralentit. Il se retourna quand je fus à sa hauteur, me laissant apparaître son visage encore jeune à contre jour. Son bonjour ne laissait pas de place au doute, il avait envie de parler.
'Vous faites quel boucle ?' me lança le jeune homme dont l'allure normale m'intriguait. Le nom du Pic de Valsenestre ne semblait pas vraiment le renseigner, curieux puisque c'était le sommet voisin qui dominait son alpage. La conversation s'engagea rapidement autour de ses moutons parqués en journée qui m'avait laissé penser à la montée que le berger était absent. Jonathan (c'est son nom) est le plus atypique des bergers que j'ai rencontré. Architecte de formation, ayant plus d'expérience dans les mers tropicales et bretonnes qu'en montagne, c'est une sorte de Moïse des temps modernes dont le catamaran a finalement échoué sur les sommets des écrins. C'est, semble-t-il, par rejet de l'agitation de ses métiers précédents qu'il a décidé de tenter de se reconvertir, de partir dans une autre aventure avec au final pour seul compagnon que lui même et les éléments. Ses brebis sont parquées à cause du loup qui s'est manifesté récemment dans la vallée d'à côté, l'organisation s'en trouve un peu chamboulée d'autant que c'est sa première expérience dans le domaine et que son chien n'est pas des plus efficaces pour diriger le troupeau.
Quand on est sociable et un tantinet ouvert d'esprit le métier de berger n'est pas simple. Physiquement d'abord, on est loin du niveau de la mer et puis la montagne est en pente, c'est un fait. Les 850m de filets et les batteries sont lourds à déplacer surtout dans le sens opposé à la gravité, le village est 1000m plus bas, pas question d'y descendre tous les jours, et la vie dans une 'niche' est spartiate quand le froid et le brouillard s'en mêlent. Ensuite on a beau être curieux de la ruralité et de ses valeurs humaines, les usages heurtent parfois. Le monde agricole est loin d'être bucolique, même au fond des vallées reculées... Le loup, le fric, l'environnement, la déprise agricole, le surpatûrage, les patous, les rumeurs... un monde nouveau pour lui, mais finalement si loin de ce qu'il espérait, si proche des vissicitudes du genre humain qu'il avait fui. Et surtout la solitude, le silence oppressant des montagnes quand on a ni eau ni électricité et qu'un vieux chien à qui parler. Le second, un patou, devrait le rejoindre dans les prochains jours mais s'il fait fuir les randonneurs comment va-t-il trouver un peu de chaleur humaine pour rompre la monotonie ? Les jours se suivent, se ressemblent, il faut les compter tel Robinson Crusoe pour ne pas oublier quel jour on est, garder le moral avec une cigarette ou un carreau de chocolat... Pas sûr qu'il renouvèle son expérience mortifère l'année prochaine dans ces conditions !
On s'est quitté presque à regret sur une bonne poignée de main après avoir ironisé de l'incongruité de son sort (lui qui en prime est presque végétarien !), il fallait bien que je redescende m'enfermer dans un bureau le lendemain, ma prison est moins belle. Je l'ai laissé seul là haut avec ses boucles blondes ensoleillées et ses idées noires.
Alors si d'aventure vous passez par là, allez lui tenir compagnie un moment, échanger sur son métier tant qu'il a encore toute la candeur d'un novice et le recul nécessaire face aux idées préconçues qui sont parfois aussi immuables que les montagnes qui les entourent. Et puis il pourra toujours vous raconter les rivages d'afrique du sud...
Aller en montagne n'a vraiment aucun sens, aucun.
Mais de toute façon la vie non plus, alors on peut y aller.
PS : Jonathan est à côte belle jusqu'à mi juillet puis il descend à Fond Turbat jusqu'à fin août avant de remonter à côte belle jusqu'a fin octobre.
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