Sortie : Bonheur et horreur à la Marmolada

Nous avons beaucoup hésité à partager cette sortie au vu de la catastrophe qui s'y est déroulée. Si nous le faisons c'est  uniquement  pour tous les alpinistes qui sont restés derrière nous en hommage à leur mémoire.

Nous avons 15 jours de vacances, la météo sur les Alpes françaises est catastrophique, du coup direction les Dolomites et leur soleil.

La première semaine est idyllique, nous alternons les via ferrata Facile ou Difficile dans les massifs de la Brenta et de la Sella. Une erreur d'itinéraire à  la descente nous fait même faire une journée de plus de 10h et un retour en stop pour retrouver notre camping-car à 25 km de là sous l'orage. Un vol en parapente, une super sortie en VTT, bref les vacances comme on les aime.

Dimanche 3 juillet, nous sommes au pied de la Marmolada, à 6h30 nous partons pour la via ferrata. Je suis particulièrement heureux et excité, car depuis mes plus  jeunes années je lis les exploits des alpinistes Italiens.  Beaucoup de monde sur le chemin mais nous sommes en forme, nous nous retrouvons entre deux groupes et nous pouvons faire cette magnifique via ferrata que tous les deux. Lorsque nous arrivons au sommet il y a foule, beaucoup de gens sont montés par la voie normale. Au sommet c'est la fête, ça parle en italien, ça rigole, ça se prend en photo, bref une journée magnifique.

Nous entamons la descente avec deux Italiens en short et en baskets. Nous descendons la paroi rocheuse équipée d'un câble et nous nous retrouvons sur le glacier. Le temps de chausser les crampons, nous sommes avec un groupe  accompagné d'une guide italienne. Patricia est un peu inquiète au vu des nombreuses crevasses à sauter. La guide italienne nous laisse passer devant elle, ce qui va sceller son destin et celui de ses clients. Au bas du glacier nous retrouvons nos deux Italiens avec qui nous déposons nos crampons. À ce moment ils ont 2 minutes d'avance sur nous, la suite est une descente dans une barre rocheuse avec un chemin peu marqué. J'ai 30 m d'avance sur Patricia dans la descente, je rattrape les deux Italiens et un guide avec une cliente. La cliente est en difficulté, aussi je propose mon aide, mais le guide gentiment me dit que ça va aller. Je trouve le passage dans lequel ils sont peu pratique, aussi je me déplace d'une dizaine de mètres sur la gauche pour trouver mieux, c'est ce qui va me sauver la vie.

 À ce moment il y a un bruit assourdissant au-dessus de nous. Patricia a le temps de me demander  quel est ce bruit. Je n'ai pas le temps de lui répondre que déjà l'énorme calotte glaciaire explose 100 mètres  au-dessus de nous. Une immense gerbe de glace envahit le ciel. Des blocs gros comme le camping-car dévalent au-dessus de nous à une vitesse hallucinante.  Les blocs s'écrasent autour de nous, une ambiance de fin du monde. Nous avons posé les casques aussi on se protège la tête comme on peut de manière dérisoire. Un premier impact suivi d'autres de plus en plus gros nous  bombardent. J'attends celui qui va m'envoyer en bas. À 10 mètres de moi je vois le guide protéger sa cliente mais soudain une énorme coulée de glace, de boue et d'eau les projette dans le vide, j'entends la cliente hurler puis soudain un calme de fin du monde.

Je jette un œil au-dessus de moi, Patricia est toujours là bien vivante. Au-dessous la jeune femme hurle. Je descends comme je peux au milieu des blocs de glace jusqu'à elle et la découvre sérieusement blessée au visage et une jambe certainement fracturée. Elle est toujours encordée, je remonte la corde et découvre le corps du guide à moitié enseveli, au vu de son état je comprends qu'il est mort. Les deux Italiens qui étaient à côté ont littéralement disparu, certainement enfouis sous les tonnes de glace. J'annonce la terrible nouvelle à la cliente qui ne comprend pas. Je crie à Patricia d'être hyper vigilante dans cette partie devenue très dangereuse à cause des énormes quantités de glace . Au-dessus d'elle, un corps est accroché à la paroi, vision d'horreur. Soudain un corps chute à toute vitesse à droite de Patricia. Elle fait une chute d'une trentaine de mètres avant de s'arrêter miraculeusement à 10 mètres de Patricia. Patricia lui conseille de remettre son casque alors qu'elle-même ne l'a pas. Malgré un genou blessé elle parvient à nous rejoindre. Je conseille à Patricia de détourner le regard pour ne pas voir ce spectacle macabre. Nous sommes hébétés, vivants sans trop savoir pourquoi. Nous appelons les secours. Un quart d'heure plus tard, les hélicoptères sont là, nous évacuons la zone avec l'aide du gardien du refuge qui est venu à notre rencontre. Nous redescendons tels  des automates jusqu'au refuge. Sur place nous sommes pris en charge, on nous déshabille car nous sommes trempés de la tête aux pieds, nous n'en savions rien. On nous donne des couvertures, on nous donne à boire et à manger, dans le  refuge un autre blessé est pris en charge.

Au bout d'une heure nous prenons la décision de redescendre par nos propres moyens au parking. Un couple italien nous accompagne jusqu'en bas. Nous nous refugions dans notre camping-car, nous sommes tellement choqués que nous ne prenons pas la mesure de ce qui vient de nous arriver.

Nous passons une  nuit agitée sur place.  Dès le lendemain nous descendons au poste de secours pour donner toutes les informations que nous avons sur la position des alpinistes au moment du drame et donnons un maximum d'informations sur les personnes que nous avons croisées. Dans l'après-midi nous ferons une déposition écrite avec une interprète chez les carabinieri.

Nous tournons le dos à la Marmolada éventrée et nous laissons derrière nous des morts, des disparus et des blessés graves.

Nous ne comprenons toujours pas pourquoi nous sommes en vie, il va falloir du temps et de l'aide pour surmonter ce traumatisme.

Le guide s'appelait Paolo DANI, il avait 52 ans. Nous ne connaissons pas les noms des deux Italiens ni le nom de la cliente.  Jeudi il semblerait que les secours aient retrouvé les deux Italiens qui étaient à côté de nous.

La calotte glaciaire qui s'est effondrée faisait 80 m de haut, 200 m de large et 60 m d'épaisseur.

Nous présentons ici toutes nos condoléances aux familles endeuillées et tout notre soutien aux nombreux blessés 

Le bilan est lourd, 9 morts, 3 disparus et de nombreux blessés graves à ce jour.