Ce matin la montagne est invisible, une brume poussièreuse de sable du Sahara occulte tous les reliefs rendant sinistre le paysage. Malgré le vent du sud annoncé, nous partons avec les parapentes à la cime d'Orionde dont la proximité des plus hauts reliefs de Belledonne lui procure une protection aux vents méridionaux. Tout est calme dans la forêt et nous montons d'un bon pas, certains de notre retour par les airs. En arrivant sur l'estive, nous ne pouvons que remarquer la nébulosité de l'air. Alors que le Vercors, pas si lointain, a totalement disparu, le massif de la Chartreuse, juste en face de nous, semble fantomatique, aux contours mal définis. Au-dessus de nous, Orionde tout assombri ressemble au Golgotha quand bien même il manque deux croix au dessus de la cabane du berger. Dies illa, dies irae : « Ce jour-là sera un jour de colère » l'ambiance est sépulcrale, pour ne pas dire macabre avec ce panorama sans contraste où la ligne d'horizon se dissout avec ce ciel blafard, cette morosité ne donne pas vraiment envie de voler. Des pétarades incessantes d'un ball-trap vers Prapoutel ajoutent au décor lugubre un parfum d'apocalypse.
Si la brise est restée sympathique jusque sous le sommet, en arrivant là-haut nous sommes accueillis par une atmosphère infernale. Ce n'est pas que le vent soit trop fort mais plutôt qu'il vient de toutes les directions ! Une première bourrasque nous fait poser les sacs au sud avant qu'une rafale de bord nous fasse déplacer le matériel. C'est à n'y rien comprendre ! Nous errons sur le sommet, le casque sur la tête à la recherche de la pente d'envol idéale qui n'existe pas. On dirait des conditions aérologiques de milieu d'après-midi alors qu'il n'est pas encore 11 heures. Au bout d'une demi-heure, nous décidons de descendre un peu plus bas afin de trouver un air plus assagi. C'est à la croix que nous trouvons une belle prairie parfaitement orientée au dessus de la cabane du berger. Nous posons les sacs, enthousiasmés par la brise favorable et attendons la confirmation de cette brise ideale. Hélas quelques minutes plus tard, c'est une nouvelle fois la douche froide. Un mauvais vent arrière nous ôte toute velléité à en découdre avec l'atmosphère manifestement en pleine ébullition. Dépités nous renonçons au vol et entamons la descente en même temps qu'un gros nuage nous plonge dans un brouillard humide et poisseux.
Je ne me rappelais plus combien sont pénibles ces descentes. Nous rattrapons une famille recomposée, quatre garçonnets marchent en file indienne derrière le père tandis que la mère porte le petit dernier dans un énorme porte-bébé, un moutard haut comme trois pommes, la charge utile devant bien peser ses 10 kilos ! La jovialité de la maman me redonne du tonus et chasse mes dernières frustrations à ne pas déplier notre matos finalement pas plus lourd que le nourrisson à moitié endormi qui ballote à droite et à gauche au gré des pas. Nous dépassons toute la smala et bifurquons à droite où nous rencontrons un autre couple sympathique, ils redescendent pour midi retrouver leurs enfants et remarquent notre sac de parapentes. Ils sont eux même d'anciens parapentistes des temps glorieux, des balbutiements de l'activité. Nous avons des souvenirs communs si bien que nous ne verrons pas passer la descente tout en nous racontant des histoires d'anciens combattants.
Si Orionde n'a pas voulu nous laisser redescendre par les airs, nous avons cependant rencontré plein de gens intéressants.