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" Il y a plusieurs années que j’avais repéré cette superbe ligne dans le versant Sud des Courtes: un couloir parfaitement rectiligne sur 600 m. de dénivelé, tellement évident qu’il aurait dû attirer la convoitise des skieurs extrêmes du coin. Seulement voila, il est rarement en conditions et la sortie est souvent en rocher. L’année 1999 aura été marquée par un enneigement surabondant, masquant les falaises et remplissant les goulets les plus profonds. Mon couloir des Courtes était enfin enneigé et entièrement skiable. Seul point noir: une météo extrêmement capricieuse et imprévisible, et la difficulté de trouver deux jours de soleil de suite.
Départ le 24 Mai après midi en empruntant le téléphérique de l’Aiguille du Midi, puis en descendant la Vallée Blanche, dont les crevasses sont complètement bouchées. Je suis parti seul, mais un copain espère pouvoir me rejoindre au refuge, ce soir. Je monte au Couvercle en passant par la rive droite du Glacier de Talèfre: un peu expo aux chutes de pierres, mais rapide.
Le soir, comme d’habitude, le ciel se couvre et l’orage menace. La météo annonce du beau temps pour le lendemain, mais je suis inquiet.
Mon copain ne m’a pas rejoint au refuge; c’est donc encore une aventure en solo...
Le lendemain à 4 heures, le ciel est encore couvert; déprime !
Je me prépare tranquillement, et démarre en peaux de phoque à 5h30, en me disant que j’irai au moins voir au pied du couloir à quoi il ressemble.
À 7h30, je débute l'ascension du couloir, car de petites éclaircies semblent vouloir se développer.
La neige est assez dense et je suis confiant sur les possibilités de regel.
Sur toute sa hauteur, le couloir est creusé par une goulotte centrale qui permet une escalade plus facile, car la neige y est dure. Par contre, je vais devoir skier sur les contre pentes latérales, qui sont tout le temps raides.
Pour l’avoir observé il y a quelques jours depuis la Vallée Blanche, je sais que le soleil vient très tard dans ce couloir, et je ne me presse donc pas; je prends même le temps de ramasser quelques petits cristaux sur les rives : Le coin est assez prolifère, et je constate de nombreux points de rappels sur les rochers. Je suppose donc que l’endroit est bien connu des cristalliers !
Après 3 heures d’escalade, je me dresse enfin au sommet des Courtes (3856 m.). Le ciel est maintenant bien dégagé. Panorama superbe et magnifique domaine skiable réservé aux skieurs extrêmes : D’ici démarrent 8 itinéraires à skis !
Je chausse rapidement les skis car le début de la descente est en versant est. Il est surprenant que l’arête sommitale soit si enneigée; je peux d’ailleurs la skier intégralement. Après une dizaine de virages dans un petit couloir étroit, je traverse une cinquantaine de mètres à l’horizontale à droite pour rejoindre le sommet de la Nord-Est des Courtes. C’est aussi le point de départ de mon couloir, versant sud. Par contre, celui-ci n’a pas encore pris le soleil et il va falloir attendre longtemps, car la neige est gelée en surface. Je creuse une énorme baignoire sur le fil de l’arête de neige, et essaye de m’y assoupir pendant que le soleil fait son travail !
À 12h30, estimant que la neige est enfin bonne, je remets les skis et attaque les choses sérieuses : les dix premiers mètres sont les plus étroits (3 mètres de large) et les plus raides de toute la descente. Je suis impressionné par l’ambiance. J’embrasse du regard 600 m. de couloir, et j’aperçois même la rimaye. Le haut du couloir n’a chauffé qu’une demi-heure et la neige est encore dure. les prises de carres sont délicates, et il faut être attentif pour ne pas brouter. Avec des skis nerveux et bien affûtés, je passe sans problème.
Plus je descend et plus la neige est douce. Par contre après 100 m. de descente, la goulotte est bien marquée et m’oblige à skier sur les bords : je choisis la rive droite, plus molle. En étant à présent bien échauffé, le ski est plus facile et devient même ludique : je m’amuse à aller chercher les contre pentes les plus raides, et avale ainsi rapidement quelques centaines de mètres. Ces moments de volupté sont toujours trop courts, surtout lorsqu’on les compare à la durée et à la fatigue de la montée. Mais peu importe le prix à payer lorsqu’on peut vivre des moments réellement exceptionnels!
Dans le bas du couloir, la neige est un peu trop molle, car le soleil est arrivé bien plus tôt qu’en haut. Je négocie donc une traversée à skis de la goulotte, pour aller sur la rive gauche, encore dure mais minée de vieilles boules d’avalanches gelées. Je dois me battre à présent pour ne pas me faire déséquilibrer et culbuter sur cette râpe à fromage !
Le saut de la rimaye est une grande satisfaction, tant j’ai douté de la réussite tout au long de la montée. À cause des nuages et de la neige verglacée, j’avais même envisagé de tout redescendre à pieds !
Une aventure finalement bien réussie, où le plaisir efface le risque et la difficulté.
C’est ma troisième première sur les Courtes; une descente superbe que je conseille vivement.
Je la dédie à ma fille Angélique.
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