Ce matin ce n'est plus le beau temps de ces derniers jours.... J'ai rêvé de ne point me lever mais un rendez-vous est un Rendez-vous. Il ne pleut pas, c'est déjà pas mal. J'ai l'impression que la perturbation fugace qui devait passer cette nuit a quelques heures de retard, Elle a peut être rendez-vous avec nous ? L'avantage de Freydière c'est que ce n'est pas loin de Grenoble, mais qu'est-ce c'est glauque entre la route enneigée couverte de branches et de lichen, le lac du Crozet cerclé de séracs et ce vent perpétuel... Un peu de courage, et il en faut, personne dans le groupe n'a l'air très motivé (à part Jolly qui a raté le créneau d'hier)
Le plafond gris tourne à la chape de béton noire, un ciel de funérailles. La pluie tombe maintenant à l'horizontale, en haut c'est tout pris dans la tourmente. La neige elle même est lugubre, d'une matière inconsistante sur toute son épaisseur. L'appuie sur les bâtons est impossible, on s'enfonce comme dans des chairs en décomposition. Une sortie pour gothique en quête de satanisme en quelque sorte.
Mais personne ne se plaint, si l'idée de faire demi-tour ou de changer d'objectif a effleuré l'esprit de chacun, personne n'en a émis l'hypothèse, alors on monte... La pluie redouble de violence : test de l'imperméabilité du futal et du reste. Jean décide de faire demi-tour juste en dessous de Lapras. Au refuge on se regarde tous et on opte pour la persévérance.
La pente devient plus raide mais la neige, elle, reste pourrie. A tel point que la trace devient pénible. On en est à se demander même si toute la pente détrempée jusqu'au sol ne va pas s'effondrer. Les ARVAs ne seraient pas d'un grand secours, dans une telle avalanche, concassé que l'on serait ! Du coup on garde nos distances et choisissons de passer par les plaques d'herbe ici et là, elle au moins reste bien accrochée à la montagne
A 200 mètres de la crête sommitale on jette l'éponge (gorgée d'eau comme le reste). Il y a un replat avec une corniche et Jolly s'adonne à sa marotte : le saut de corniche, il excelle dans cette activité. La chape de béton nous happe par moment, nous encerclant dans une brume inquiétante. Ambiance irréelle ou surréaliste on ne sait plus.
La descente s'avère moins périlleuse que prévue, globalement elle est presque bonne, mais je ne peux pas être juge et partie. Avec les escalopes, je fais partie du manteau neigeux, c'est trop fastoche... A voir mes amis, la neige ne doit pas être si mauvaise ! La descente se déroule dans la beauté, car j'ai lu ce matin sur une affiche que la joie célèbre la beauté.... sans aucun doute !
D'ailleurs le ciel est de toute beauté, des strates de gris allant du plus clair au plus soutenu, jusqu'au noir de geai. Ce camaïeux de gris est zébré ça et là d'un trait de bleu lumineux. Je prends une photo mais je crois que j'y arrive finalement mieux avec des mots. De toutes manières, un ciel pareil, il faut le vivre.
... Je regarde maintenant Félix qui tourne inlassablement en roller sur l'anneau de vitesse de Grenoble et en haut, à travers les branches nues on aperçoit le plafond gris, il semble maintenant à une altitude vertigineuse, il dérive lentement accrochant seulement les plus hauts sommets dont le Pic du Loup.