Ils l'avaient pourtant dit que le créneau serait matinal et court, alors quand je me suis levé à 5h30, la radée qui finissait de gorger d'eau la pelouse n'était pas de nature à me motiver. Pourtant avec les moyens techniques actuels, les webcams remplacent avantageusement la traditionnelle méthode Coué... il fait beau vers le nord. Alors en piste pour une petite sortie. En passant en contrebas de la Dent de crolles lumineuse sous le soleil matinal, je me suis dit qu'elle pouvait être un objectif possible. On en avait d'ailleurs parlé hier soir avec Luc. Je laisse la bagnole au champ de Saint Nazaire pour grimper dans la première bagnole qui passe et qui gentiment me prend en stop.
La marche démarre depuis le petit village de Saint Pancrasse, niché sous la brillante et large molaire. Le sentier est magnifique entre les prairies vertes des jeunes pousses printanières. Malgré le temps étrange de ces derniers jours, la nature ne s'y trompe pas, elle jaillit sous toutes ses formes dans un élan frénétique. La marche est agréable sous les frondaisons, avec par dessus un ciel lavé de toute impureté. En arrivant sur la prairie, les quelques névés qui restent à traverser me refroidissent dans tous les sens du terme.... Chaussé comme je suis, il serait imprudent de remonter les passages exposés des petites vires sommitales, la neige est un poil trop dure.
Ce sera donc le dôme de Pravouta. Il est bien déneigé en face sud. Pourtant en arrivant au dessus du Col des Ayes, un panneau m'oblige à rester sur le sentier pour cause de dérangement de quelques gallinacés dont on entend d'ailleurs distinctement les caquètements incessants. Il s'agit de monter à flanc sur une neige presque dure, je me félicite d'avoir revu à la baisse mes objectifs puisque la neige même ici augmente singulièrement la difficulté. Bon, ça reste tout de même pas bien compliqué. Pendant ce temps, le ciel est en train de changer, en dessous, dans la vallée les nuages deviennent envahissants et les arbres au dessus agitent leurs cimes dans un vent inconstant. Au sommet c'est vraiment pas terrible.... vent d'est trop fort, et mer de nuage bien dense au dessus du plateau et dans toute la vallée... décidément Pravouta fait partie de ces sommets qui ne veulent pas de mon aile étalée sur leurs flancs pourtant accueillants.
Il est tôt, l'air est instable, tout peut changer en quelques minutes. Alors que je rêvasse face à l'immensité encore tout dégagée, une jeune fille des plus charmantes arrive sans bruit, un discret salut, elle s'installe à distance respectable et disparaît tout aussi discrètement qu'elle est arrivée. Une belle chevelure à peine retenue en chignon laissant apparaitre un cou gracile, et une démarche féline, un ange en quelque sorte. D'ailleurs des nuées blanches montent de toutes parts et commencent à prendre le sommet dans une céleste sarabande. Le vent quant à lui s'est mis carrément au nord - après avoir soufflé puissamment de l'est - j'ai un peu de mal à comprendre la masse gazeuse qui nous entoure aujourd'hui.
Alors que tout semble définitivement fichu, une idée germe doucement dans mon esprit. Entre le vent de nord et le ciel dégagé seulement sur Saint Pierre, pourquoi ne pas tenter l'envol vers le cœur du massif et rentrer en stop ? Aussitôt dit aussitôt fait. La voile est étalée en travers de la cime pour prendre correctement le vent. Mettre la voile dans le flux de nord est une tache délicate qui me prendra bien un quart d'heure. Les différentes tentatives de lever la voile ne sont pas vraiment concluantes. En plus le vol réclame une bonne finesse et le vent sensible de nord n'est pas vraiment un allié. Je me propose un plan B après le décollage : atterrir dans la prairie juste en dessous si mon altitude n'est pas suffisante pour traverser la forêt du plateau de l'Océpé. Finalement ça passe après une petite alerte face à ce puissant vent du nord. La suite du vol ? Comme dans une essoreuse... Plus je descends et plus le vent est fort. À tel point que je recule par deux fois. Un vol qui m'a semblé bien long malgré l'absence de thermiques. Tous les sommets sont maintenant pris dans la grisaille. Mais Saint Hugues reste heureusement le seul point dégagé du quartier. En bas, La manche à air s'agite vigoureusement, l'approche va être délicate. Je vais toucher du pied le sol juste avant qu'une rafale me fasse reculer d'une bonne dizaine de mètres à une hauteur respectable, dans ce cas là, toujours rester prêt à amortir un retour au sol qui pourrait s'avérer très vigoureux, et ben non, je me pose comme une fleur.
La voiture est à Saint Nazaire, le Col du Coq est fermé... va falloir faire le tour du massif en auto stop... Et bien ça a très bien marché ! Pas besoin de partir à l'autre bout du monde* pour vivre une aventure palpitante !
*Pour le bout du monde, la musique divine de www.youtube.com/watch?v=P7aFgiX8TK4 dans son dernier CD suffit à mon bonheur!