Aux sommets du vérisme italien atteints hier à Lyon lors de la représentation du Rigoletto de Verdi, il fallait par une balade ambitieuse frapper fort et monter haut. C'est donc sur la dorsale qui s'étire du nord au sud, à l'extrémité orientale du Vercors que je grimpe ce matin. Les presque 1400 m de dénivelé auront été retardés par un passage neigeux plutôt pénible à remonter. Mais il en faut plus au têtu que je suis pour me décourager, franchir pas à pas les névés trop mous sous le soleil printanier, telle est ma mission. Question thermique en effet c'est chaud ! Depuis le départ la brise est déjà ascendante, ça promet. Un petit vent me pousse gentiment vers le col de l'Arc. Pourtant quand j'y arrive c'est la déconvenue, un léger vent d'ouest se fait sentir, c'est rageant d'autant plus que ce n'est pas ce qui était annoncé.
Toutefois, en analysant plus précisément la situation, la faiblesse du vent météo ne devrait pas trop contrarier les ascendances provenant du fin fond de la vallée. Alors c'est largement en dessous de la Crête des Crocs que je repère une pente déneigée qui sera propice à l'envol. Sans plus attendre je m'y rends à travers les prairies encore toute sèches. Tiens les sapinettes qui poussent en contrebas ont bien grandi depuis ma dernière visite ici il y a dix ans. Mais il y a encore des couloirs dégagés et comme la brise est parfaite, j'étale la voile dans le premier vallon bien découvert. L'envol est une formalité mais il n'y a pas d'ascendance exploitable. Qu'à cela ne tienne, direction les contreforts du Pic Saint Michel dont certaines pentes sont exactement perpendiculaires aux rayons du soleil. Je progresse contre les pentes où s'ébattent quelques chamois quand soudain un thermique puissant me prend dans sa grosse main, alors que je commençais à désespérer.
Il suffit alors d'enrouler et de compter les tours. Autant c'est facile quand on est dix potes dans le thermique à se tirer la bourre, mais là c'est pas la même. Je suis absolument seul au monde, comme un petit moucheron dans un univers gigantesque et immense. 1500 m plus bas, les maisons de Saint Paul de Varces me paraissent bien petites. Rapidement le plateau du Vercors apparait tout blanc de l'autre côté de la crête, à vrai dire je n'en mène pas large. C'est toujours à ce moment que je vérifie la présence de la poignée du parachute de secours, sauf que j'ai beau chercher je ne la trouve pas. C'est normal voilà plusieurs années que j'ai renoncé à cette roue de secours trop souvent inutile. Alors je me dis qu'à la première tarte je me barre, évidemment elle n'a pas tardé à arriver. Malgré la grande marge de sécurité que j'ai avec cette Masala, j'opte alors pour la retraite vers des cieux moins virils. Loin du relief, (et loin de tout d'ailleurs) l'ambiance est beaucoup plus calme et apaisée.
La suite du vol, assez longue vue l'altitude acquise dans l'ascendance, me ramène doucement vers un monde plus bucolique, un monde plus adapté à vrai dire au promeneur solitaire que je suis. Les champs sont accueillants, les fleurs printanières ont pris place au milieu des vertes prairies, l'eau fraîche miroite dans le lit du torrent, seuls manquent dans le paysage les placides bovins encore à l'étable. Je me pose comme une fleur à côté du cimetière, non loin de la flamme plantée ce matin. Alors que j'étale la voile pour la plier, passent une jeune maman et sa copine qui bizarrement promènent une poussette au milieu du champ, ce sont les premières et uniques personnes que je verrais de la balade. Je vous raconte pas comment le nourrisson était balloté dans son landau, en voilà un qui sera blindé pour affronter les thermiques les plus retors !