Sortie : Dans l'œil du cyclone

Hier grand vent, demain grand vent, toujours de secteur sud, alors quand maître Caplain annonce une courte accalmie ensoleillée, il s'agit de s'y précipiter avec délectation. C'est ainsi que je file ce matin à Mens, capitale du Trièves, pour grimper au sommet du Châtel par l'autel aux sacrifices. En passant devant la fameuse pierre, je me suis demandé s'il n'aurait pas fallu amener un poulet label rouge à l'attention du dieu païen.. En effet le ciel est encombré de sombres nuages dégoulinant d'humides brumes sur les branches d'arbres. Ce n'était pas du tout prévu au programme ! 

Plus haut le sentier traverse les barres rocheuses pour passer au dessus la forêt, permettant au paysage de s'ouvrir vers le Nord. Bonne nouvelle, la mer de nuages commence à se morceler, je marche donc résolument vers le sommet. Il règne sur le plateau sommital une exquise sensation de quiétude. Une douce brise souffle du bon côté, personne à l'horizon sinon quelques choucas avides de sensations en train d'accomplir un ballet aérien digne de la plus belle chorégraphie, synchronisés à la perfection. 

L'angélus sonne au loin quand j'étale la voile juste à côté du repère géodésique. Le vol s'annonce grandiose au regard des figures enchaînées par les noirs volatiles juste au dessus de moi. A peine ai-je décollé que j'entame une course poursuite avec cette bande de corbeaux excités. Mais ce parapentiste pataud qui se prend pour le danseur étoile n'est pas du goût de la compagnie des emplumés qui décident alors d'aller ailleurs se livrer à leurs joutes. Me voila seul dans ce large thermique doux, minutes délicieuses au dessus des brumes qui traînent encore au fond des vallées. D'ailleurs le terrain que j'ai sélectionné aujourd'hui est juste en marge d'un restant de mer de nuages à l'ouest, il me faut contourner ces cumulus côté soleil, faisant  apparaître sous mes pieds la curieuse irisation qui terrorisa jadis Whimper en redescendant du funeste Cervin. Ce spectre de Brocken, puisque c'est le nom de ce phénomène physique, est magnifique ! Il m'accompagnera jusqu'à ce que mon altitude soit inférieure à la base du nuage. Il ne me reste plus qu'à sortir le train d'atterrissage pour me poser comme une fleur à côté de la flamme qui pend mollement, à peine soulevée par le vent  qui commence à reprendre de la force. 

Quand je termine de plier, la flamme est soumise aux caprices du vent, elle se dresse, poussée par le vent du sud. Il était grand temps de se poser ! Jamais la chanson "Even in the quietest moments" des indémodables Supertramp n'aura sonné aussi justement à cette heure de la journée !