Se rendre au pont des allemands a déjà été une épreuve, la neige recouvre uniformément la route et la voiture qui roule devant moi ne semble pas bien rassurée. Le froid au parking est perçant, mais dès que l'on marche, avec une petite polaire, tout rentre dans l'ordre.
J'aime faire une fois par hiver cette petite promenade dans le vallon du monastère, à chaque fois le charme opère. Le silence épais qui entoure l'immense bâtisse est comme habité. La cloche résonne à intervalles rapprochés, tous les quarts d'heure, comme si les moines, malgré leur vie spirituelle si riche, voulaient se rassurer de leur condition éphémère en faisant entendre à toute heure du jour et de la nuit le temps qui passe comme pour le ralentir... Vaine tentative, la permanence des choses n'est pas de ce monde.... Faisant comme eux partie des locataires temporaires, je profite donc du court moment qui m'est donné pour régulièrement venir me rappeler ici à ma futile condition...
Il n'en demeure pas moins vrai que le froid sauvage est mordant, quelques vagues flocons refusent de tomber, ils finissent de planter le décor. Le moindre souffle d'air décuple la morsure du gel. La montée au dessus de la forêt qui protège de la bise risque d’être pénible... en attendant il s'agit de s’imprégner des lieux, alors que mon esprit vagabonde, je me fait doubler par une fusée, il doit raisonnablement aller deux fois plus vite que moi... Dans un tel décor, cette vitesse me paraît tout à fait incongrue. Cependant malgré ma lenteur, l'avancée est perceptible, bientôt je passe devant mon jalon habituel, c'est une petite prise d'eau, jamais recouverte de neige sous un rocher, elle a la particularité d’être précisément datée... 1778... Beethoven avait 8 ans et n'était pas encore sourd ! S'il prenait, dans les dernières années de sa vie, autant de plaisir à lire des partitions qu'il n'entendait que dans sa tête, de mon coté je prends plaisir à me trainer en montagne quelques soient les conditions.
C'est sur ces considérations que j'arrive à Bovinant. Le vent sans être fort rend la situation vraiment inconfortable. Entre l'absence de visibilité, la neige fraiche massivement rassemblée sur les pentes et le froid qui achève de me refroidir, j'opte pour un objectif plus modeste que le projet initial. Faute de Grand Som ce sera le Mauvernay, Ça tombe bien je n'y suis jamais allé et Nini me vante sans cesse les délices de son couloir nord, allons voir cela de plus près. Le vent jusque là mon ennemi me pousse maintenant gentiment vers la cime.
Par un hasard de la météo, mon arrivée au sommet concorde avec un apaisement du vent glacial et surtout avec l’apparition de trouées dans l’épaisse couche nuageuse qui m'entoure. Après avoir difficilement viré les peaux et préparé le matos pour la descente, j'entame la partie la plus amusante du parcours : le retour en ski parmi la poudre omniprésente. Le Couloir de Nini n'a de couloir que l’étroitesse du champ de neige, pour la pente raide on repassera, néanmoins avec cette neige idéale c'est une partie de plaisir, il faut néanmoins s'arrêter de temps en temps, le vent relatif sur le visage est pratiquement insupportable. La suite de la descente est ludique dans une forêt clairsemée et quasiment vierge de toute trace – certes en cherchant un peu - , la pente me mène droit sur Casalibus, reste plus qu'à suivre la piste maintenant damée par les innombrables promeneurs du jour.
J’écouterai au retour une musique appropriée en la personne de Sparklehorse, une musique onirique légèrement mélancolique qui laisse à peine transparaitre la dépression chronique de son compositeur, dépression qui aura d'ailleurs eu raison de lui...
son dernier album : www.youtube.com/watch?v=OzgQXb08Rc0&list=PL62A8E44D326140D6