L'accès au dôme de Bellefont passe par un alpage réputé pour la férocité des patous qui y gardent le troupeau de moutons durant l'été. Bien des trailers ont dû faire demi-tour devant les deux bêtes enragées, aussi ai-je préféré me munir d'une tranche de jambon au fond de la poche, au cas où les chiens refuseraient d'obtempérer. Deux itinéraires sont possibles, le premier plus direct passe par le col de Saulce et la cabane du berger, le second beaucoup plus long, passe par le couloir du Prayet avant de rejoindre un plateau qu'il faut traverser intégralement par le fameux chaos de Bellefont. C'est un amoncellement de roches à contourner plutôt casse-pieds mais qui permet d'éviter le passage obligé devant la cabane du berger. C'est par cette deuxième option que nous allons rejoindre le dôme.
Le sentier superbe se faufile d'abord à travers une falaise, par un couloir dont je garde un mauvais souvenir, en effet j'y suis passé un hiver en ski de randonnée avec mes amis Loïc et Jolly, un jour magnifique de poudreuse, neige dont je n'ai pas pu profiter pleinement en raison d'un coup de fatigue terrible m'obligeant à des arrêts fréquents pour reprendre ma respiration. Heureusement aujourd'hui j'ai dix ans de plus et une forme olympique ! Je cavale derrière Hélène sans le moindre problème ! Comme j'ai oublié la flotte, nous avons fait le plein d'eau fraîche à la Fontaine Noire avant de reprendre la série de lacets qui montent au plateau.
Là-haut le replat permet de voir la suite du parcours presque intégralement et pas la moindre trace du troupeau ! Pourtant, un timide son de cloche atteste de la présence d'au moins un mouton... Nous verrons bien. Le chaos est un empilement de blocs rocheux énormes et singuliers que le sentier évite par une succession de dos d'âne qui demandent une certaine énergie. C'est au dernier bloc que nous avons une mauvaise surprise, les six cents moutons paissent tranquillement blottis dans le dernier vallon, passage obligatoire pour se rendre au dôme. Alors à pas de loup, sans déranger les placides ovins, nous avançons en espérant ne pas éveiller l'attention des deux cerbères. Les moutons se poussent à notre passage et bientôt nous voyons le bout du troupeau quand soudain, sortis d'un trou, les deux cleb's fondent sur nous, ivres de rage d'avoir été ainsi surpris. Plus loin, une clôture grillagée matérialise l'extrémité de leur domaine. Sans courir pour ne pas exciter davantage les deux monstres, nous marchons rapidement vers notre salut. Jamais grillage ne fut sauté aussi facilement. Gagné ! Les deux patous, vexés de ne pas avoir pu goûter à nos mollets, s'en retournent à leur cachette en se promettant d'être plus attentifs au prochain passage.
Nous terminons la balade tranquillement par la série de 14 lacets que compte la dernière pente. Une fois au col, pendant que nous prenons la mesure du vent du sud, nous entendons japper les deux toutous qui ont décidé de se venger sur trois randonneurs qui passent. Nous les voyons foncer sur eux tous crocs dehors, c'est sûr, ils vont passer un sale quart d'heure !
Bien que le vent soit un peu fort ici, nous le savons plus calme au dôme, et nous ne nous tromperons pas. Il règne au sommet un calme à peine troublé par une brisette parfaitement orientée. Nous pouvons étaler tranquillement et sans stress nos voiles puisque nous passerons tout à l'heure par dessus les deux chiens sans qu'ils puissent nous atteindre.
Si l'envol est une formalité, le vol sera d'anthologie. Malgré l'orientation ouest des pentes que nous survolons, nous trouverons d'abord un vent dynamique qui nous soutient pendant que nous longeons la crête qui conduit aux magnifiques Lances de Malissard, avant de croiser un solide thermique qui nous emmène au dessus des sommets ! Le panard ! La suite est une longue glissade ponctuée de petites pompes qui nous permettent d'arriver au-dessus de l'atterrissage de Perquelin avec une altitude confortable. Par un hasard des courants chauds, une ascendance naît sur le terrain, rendant l'approche délicate avec des vents opposés. Hélène en fera les frais tandis que j'arrive miraculeusement à ne pas faire un cratère, au prix d'une précision d'atterrissage plus qu'approximative !
Nous terminerons la matinée par un pique-nique chez Fabienne, avec en ligne de mire un Dôme de Bellefont qui prend des allures sinistres en raison des développements de cumulus joufflus à la base bien sombre, ceux qui annoncent l'orage.
PS, nous comptions manger la tranche de jambon que j'avais préparée au fond de la poche pour les molosses... J'ai du la perdre lors de notre saut par dessus le grillage !