C'est avec stupéfaction que je découvre le paysage en débouchant de la rampe de Laffrey. Il est entièrement bouché par une mer de nuages glauque et par-dessus le marché sur plusieurs couches. Bref pour la descente en parapente c'est pas gagné, il faut savoir que depuis plusieurs mois l'atmosphère est saturée d'humidité, avec son lot journalier de cumulus qui s'accrochent à tout ce qui dépasse. Rarement nous aurons vu autant de nuages décorer le ciel, si c'est très esthétique, cela ne facilite pas pour autant les vols montagnes.
Inutile de dire que toute cette humidité, pas du tout prévue par météo France, me plonge dans la plus grande déprime, néanmoins il convient de jouir de cet arrêt de travail et profiter de ce corps encore vaillant, malgré l'usure qui commence réellement à se faire sentir. Les anti-inflammatoires étant encore parfaitement efficace, ce matin les douleurs lombaires sont redevenues supportables. Il faut donc encore une fois prendre son sac et partir sous les lourds nuages. Peu importe l'issue, que ce soit par les airs ou par le sentier, le plaisir de marcher prime sur tout le reste.
La pente est raide au-dessus de Cholonges et le sentier pourtant bien signalé est parfois difficile à suivre. Plusieurs fois une trace s'est révélée une impasse et marcher sur ces travers plutôt raides n'est pas une sinécure. Pourtant à la sortie de la forêt de l'aigle, on retrouve cette nouvelle piste qui, même si elle défigure la face ouest du Grand Serre, n'en demeure pas moins commode et plaisante à suivre. Même dans le brouillard le plus épais, impossible de se perdre. Plus haut, vers 1700 m la lumière devient soudain plus vive, aveuglante même, à y voir de près, le cercle rougeoyant se découpe maintenant dans la brume. Le passage au soleil est toujours un moment passionnant. Au loin quelques pins misérables apparaissent subitement, et bientôt, c'est le pan entier de la montagne qui surgit, avec des contours nets et précis, les massifs de la Chartreuse et du Vercors apparaissent par-dessus la blanche mer de nuages, c'est d'une beauté à couper le souffle ; pourtant du souffle, il m'en faudrait encore, car il reste encore une bonne demi-heure de marche. Mais devant la beauté intrinsèque du panorama, les pas se font tout à coup plus faciles.
Sitôt au sommet, il s'agit d'établir une stratégie pour le retour par les airs. Si la mer de nuage s'est bien fractionnée, en revanche, les nuages tout à l'heure discrets sur le village de La Morte qui est le plan B, prennent de l'extension de seconde en seconde. Comme le vent au sommet semble bien faible, une petite reconnaissance sur l'énorme versant ouest n'est pas inutile pour bien trouver le décollage le moins craignos. Peine perdue, c'est vent de cul. Si les nuages qui ceinturent le sommet deviennent ténus, décoller à l'opposer demande de faire un grand détour qui va me rapprocher singulièrement de la mer de nuage au Nord qui est maintenant compacte au-dessus de La Morte. J’étale la voile vers l'est dans la petite brise thermique et au moment de décoller, j'apostrophe un vieux qui bouffe au sommet tout proche pour lui demander si le vent du nord est sensible. À peine me répond-il...
Je prends ma respiration et cours vers l’abime au bout du champ, départ impressionnant que demande une grande précision dans la décision... à la moindre bizarrerie, il faut affaler la voile avant le grand trou. Pourtant rien ne viendra perturber la montée de la voile un tantinet paresseuse, je saute dans le grand vide en gueulant un grand Banzaï ! Le vieux mitraille pendant que je vire brutalement à 180° pour vite me retrouver de l'autre côté de la montagne. Ouf, la blanche mer de nuages montre de grandes éclaircies dans lesquelles je me précipite. Le vol est maintenant serein, il ne reste plus qu'à profiter de la descente aérienne confortablement installé dans la sellette.
Si j'ai pris soin de placer une flamme près du seul champ fauché, elle ne me sera d'aucune inutilité puisque malgré une faible brise de Nord, au moment d'atterrir, c'est un coup de vent arrière qui me propulse rapidement au sol, impossible de faire l'arrondi, je me pose à pleine vitesse sans avoir le temps de sortir le train d'atterrissage, je laisse une grande traînée dans les herbes coupées, la sellette est couverte de terre ainsi que mon gant gauche. Mais pas de casse, c'est comme une chute à moto dans les grands bacs à sable sur une piste automobile. Heureusement qu'il n'y a pas de spectateur.
Voila une sortie agréable et bienvenue. Ça vous regonfle un moteur usager, c'est toujours mieux que de supporter les commentaires stupides du dernier match de foot du mondial au boulot. Vraiment je ne peux plus les voir en peinture, ce milieu macho du monde automobile me sort par les trous de nez. Maïs pourquoi n'ai-je pas été embauché dans la boite concurrente à l'époque qui informatisait les bibliothèques ? C'est mille fois mieux que ce putain de logiciel pour garagiste.