Pas besoin de faire le tour du monde pour se rendre compte de son immensité. Il suffit par exemple de monter au sommet du plan de Montmajou, une cime parfaite pour le parapente sur l'arête frontière entre l'Espagne et la France. Rien que la randonnée pour aller là-haut est de toute beauté, on part du délicieux petit village d'Artigue flanqué sur le bas des estives. Une splendide petite chapelle permettait aux habitants d'aller chercher un peu de réconfort, entre les conditions de vie difficiles et l'éternelle angoisse de la mort, le curé avait du boulot pour réconforter ses ouailles ! Aujourd'hui, l'église n'est plus là que pour les touristes et deux ou trois grenouilles de bénitier. Il faut dire que depuis, l'espace spirituel s'est grandement élargi. Comment ne pas être stupéfait par la beauté du paysage, y aurait-il Dieu là-dessous ? Peut-être. Ce n'est pas faute de le chercher en enchaînant tous ces vol-randos au-dessus de tout, au cœur même de l'azur.
Le chemin se faufile d'abord entre des prairies sans fin, avant de traverser une sombre forêt de conifères, pour arriver enfin à la magique cabane de Saunère. L'ancienne bergerie fait face aux 3000 du luchonnais encore plâtrés de neige immaculée. Ici, la stupéfaction passe à l'émerveillement ! Mais la route est encore longue, je laisse un charmant couple en pleine contemplation et poursuis ma route sur ce beau sentier séculaire. Rendu au plat de Peyrehitte, je salue au passage les bergers en plein comptage de leurs nombreux moutons. En retour, je ne reçois qu'une bordée d'aboiements de la part des trois patous furieux d'être dérangés en pleine sieste.
Il ne reste plus que 150m de dénivelé pour atteindre la frontière, cependant deux indices laissent à penser que ce ne sera pas bon pour le parapente. De nombreux nuages dépassent de la crête et dévalent sur moi, le vent ne semble pas idéal. Est-ce une raison de déprimer ? Pas question, c'est trop beau pour ne pas être heureux. Là-haut la sanction se confirme. Si le vent d'est n'est pas éliminatoire, j'ai déjà tenté le décollage sur l'Espagne, en revanche les gros nuages occultent complètement ce plan de vol biscornu puisqu'il faut passer la crête pour retourner en France. N'ayant aucune patience, je décide immédiatement de redescendre vers les brebis, la brise y était parfaite et le plan de vol bien dégagé lors de mon passage.
Bingo ! Juste au-dessus du parc à moutons, une aire d'envol idéale attend le parapentiste épris d'espace. La voile est vite installée sur cette prairie accueillante, la demie de dix heures vient de sonner quand mes pieds quittent l'herbe tendre. Seul dans l'immensité, la crête secondaire du Serrat de Crèspès défile lentement pendant que s'ouvre la vallée. C'est en rejoignant la cabane de Saunère que je croise un beau et franc thermique inattendu, l'enrouler est un vrai plaisir, au même titre qu'une toccata du divin Bach joué par le non moins génial Gould. De fil en aiguille, je regagne l'altitude que j'avais perdue en descendant du Plan de Montmajou et dans un calme total ! Incroyable.
Il ne me reste plus qu'à traverser la vallée. Avec l'altitude reprise au-dessus de la cabane, jamais je n'ai volé aussi haut sur la petite rivière de la Pique ! C'est à ce moment que je me suis rendu compte de l'immensité du monde. Les moutons ne sont plus que des chiures de mouche, les voitures des cafards rampants. Le vide se fait subitement impressionnant mais la douceur de l'air rend la glissade délicieuse. Les foins n'étant pas encore faits, je rejoins docilement l'atterrissage officiel de l'aérodrome. Il ne reste plus qu'à retourner en stop à la voiture garée à Artigue. Il est midi, la circulation insignifiante mais ici les gens sont aimables, deux voitures des quatre que j'ai vu passer m'ont pris en charge si bien qu'il ne me faut pas plus d'une demi-heure pour accomplir la rotation.