La randonnée commence par un sentier raide jusqu’au passage de la Miséricorde. A cet endroit, le sentier passe entre deux falaises, il s’agit de prier le bon Dieu de sa miséricorde. Si le chemin n’offre aucune difficulté, il s’agit de ne pas trébucher sous peine de faire un vol plané de plusieurs centaines de mètres, le parapente plié dans le dos n’est dans ce cas d’aucune utilité. Nous avançons donc prudemment sans regarder le vide sournois en contrebas. La suite est plus simple, il faut remonter la combe des Veaux où nous soufflons comme des veaux tant la pente est raide. Au bout de deux heures de marche, nous émergeons enfin de la forêt pour progresser dans les belles prairies dégagées. Le regard se perd alors devant le panorama quasi infini au delà de Voiron. De placides génisses broutent tranquillement l’herbe tendre gorgée de rosée pendant que nous cherchons le passage pour accéder au terrible couloir de Jusson.
Ce couloir monte droit dans la falaise par un système astucieux de vires entre les barres, là encore il s’agit d’avoir le pied sûr dans les passages verticaux. Je monte les bâtons à la main tandis qu'Hélène les a ficelés sur son sac à dos, pas facile d’agripper les prises avec la main prise ! Si bien que, juste au-dessus de la barre la plus délicate, l’un des bâtons m’échappe des mains, je le vois disparaître dans le trou et rebondir à plusieurs reprises. J’ai beau éructer, cela ne me fera pas revenir le bâton de bois, celui qui devait me servir à planter une flamme au décollage ! J’en termine donc avec un seul bâton de ski dans la froidure du versant ouest encore à l’ombre.
La sortie sur la crête sommitale est d’un contraste saisissant. Alors que nous évoluions dans l’ombre glaciale que la brise descendante accentuait, nous émergeons sur le versant oriental gavé de lumière. La brise thermique nous gifle agréablement le visage, si sa chaleur est souveraine, pour le décollage en parapente ça risque d’être un peu rock'n'roll. Toutefois nous goûtons à sa juste valeur la joie d’avoir atteint le sommet, nous admirons le paysage à 360 degrés, la petite auberge où nous dînions hier soir apparaît toute petite au loin.
Mais il est temps de préparer les voiles, un beau petit replat avant une pente plutôt raide nous permet d’étaler les parapentes sans être trop dérangés par les boulets de canon qui passent de temps en temps. Le plan de vol est simple, décoller vers l’Est, contourner la crête descendante et filer vers l’ouest et l’espace en direction de Voiron. Nous démêlons soigneusement les suspentes car le décollage risque d’être instantané, interdisant la vérification correcte d’une éventuelle clé dans les ficelles. Devant la nature un peu anarchique des rafales, nous attendons une accalmie avant de nous élancer dans la pente. Hélène fera une belle démonstration de maîtrise, malgré les caprices de la brise thermique, en rétablissant la voile bousculée à droite. Je décolle ensuite de la même façon, avec une rafale me déportant brutalement à gauche !!! L’entrée dans la masse d’air se fait de bas en haut. Pas besoin d’aller contourner la crête puisque le sommet est en dessous de nous. La suite du vol est beaucoup plus calme, c’est une belle glissade sur 1300 m de dénivelé jusqu’au col de la Placette où Dédé nous attend. Le vent de vallée est déjà bien présent, on atterrit face au vent sans trop avancer, le comité d’accueil est là.
Après avoir plié les parapentes, le meilleur moment de la journée peu commencer, Sylvette, jamais prise au dépourvu, nous invite à déjeuner pour un repas pantagruélique dont elle a le secret, les légumes du jardin sont délicieux, les pavés de saumon et d’espadon le sont tout autant. Quant à la bière que Dédé nous sert à volonté, elle est ambrée et fraîche, de quoi étancher notre soif après ces 1200 mètres de dénivelés plutôt ardus.