Pourtant tout avait bien commencé, la sombre couverture nuageuse se retirait vers le nord pendant que le soleil, me poursuivant de ses ardeurs matinales, gagnait du terrain. La douce montée parmi les buis depuis Montmélian s'étirait lentement à travers une nature en plein réveil. Le vol se promettait gratifiant et pourquoi pas même rêver d'un thermique automnale...
C'est sous un ciel maintenant uniformément bleu que je déplie la voile, place correctement les caissons, démêle précautionneusement les suspentes groupes par groupes, gestes rituels maintes fois répétés... Le vent est parfait, une bonne brise chaude de face, condition nécessaire sur ce décollage ultra court qui n'admet pas l'approximation. Le décollage est une formalité, tendre les suspentes, temporiser la voile et prendre place dans le courant ascendant. Petite dérive à droite vers les arbres, correction, dérive encore, correction encore et finalement me voilà par-dessus la forêt de buis. Commence alors une petite promenade sur la crête au-dessus de tout.
Les conditions de vol sont calmes et reposantes, cela tient à peine mais ne brasse absolument pas. Moments exquis où la lassitude n'existe plus. Pourtant le thermique joue les filles de l'air. Peu importe, la descente est douce et ralentie par la brise favorable. Au niveau des vignes les plus hautes, l'air est encore chaud et monte tranquillement. Quand soudain, alors que je rêvasse, un détail attire mon attention, mais pourquoi les peupliers en bas sont-il tendus comme des arcs ? Punaise, un puissant vent de vallée anime déjà les coteaux, soulevant haut les premières feuilles mortes. Bon sang, il vaut mieux rejoindre rapidement l'atterrissage, pour avoir de la marge. Le vent est exactement face à ma trajectoire, bientôt j'entre dans le lit du courant, je n'avance plus un caramel, il ne faut pas longtemps pour comprendre que jamais je n'atteindrai l'atterro au milieu de la zone industrielle. Le seul problème, c'est qu'il n'y a rien d'autre que des vignes, des forêts et tout en bas des usines entourées de barbelés... Il va falloir faire preuve d'imagination... Le toit plat d'une usine, pas commode pour descendre de là -haut, un jardinet minuscule cerné de grands arbres, pas assez habile pour effectuer l'approche en parachutage, un entrepôt de tuyaux en bétons... Bof
Finalement la route me semble la meilleure option possible. Maintenant c'est sur, je n'atteindrai jamais le terrain prévu, je n'avance plus du tout et descends lentement dans de grandes oscillations étranges mais heureusement pas turbulentes du tout.
La route étant presque dans l'axe du vent, il suffit de garder le cap précisément, c'est que de grands arbres bordent le côté sous le vent de la puissante brise. Alors que je pensais m'écraser comme un hérisson sur un goudron trop dur, un dernière rafale me retient quelques centimètres au-dessus de la route pour finalement me déposer délicatement sans aucune secousse. Par un coup de bol insensé, il n'y a pas de circulation à ce moment là .
Tout est bien qui finit bien, déjà le ciel est moins clair, la perturbation arrive par le sud, il ne reste plus qu'à plier difficilement la voile dans ce vent maintenant vif et inhospitalier.