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Et oui.
Après cette période de bon froid, et de neige jusqu’en plaine, le redoux a fait remonter la limite de cette neige au-dessus du sommet de la Cuche. C’est ainsi avec plaisir que je découvre le haut du sentier, ses cailloux, ses branches basses - relevées aujourd’hui, faute que le poids des flocons ne les fassent plier jusque dans mon cou… - bref tout ce décors champêtre qui avait été caché en janvier.
Cette manie de déblayer le chemin de ses petits obstacles continue à œuvrer. Et, tout en montant, ce sont nombre de génuflexions que je fais, pour enlever ici une petite pierre, là un bout de bois en travers, et rendre ainsi au parcours la fluidité de monter, cette fluidité qui évite les enjambées variables donc pénibles, et les à-coups du cœur.
Mon « ami » le VTTiste continue la sienne, d’œuvre ! Il est un véritable habitué des lieux. Et sa trace est bien présente du haut jusqu’en bas (il descend, lui). Cette trace a changé par rapport aux précédentes observations. Dans les lignes droites du chemin, celles où la vitesse est maximale, les feuilles ont volé sur les côtés, dû au vent de la course et il ne reste de son passage qu’une simple trace rectiligne. Dans les épingles à cheveux, par contre, les embardées de roue arrière ont creusé un sillon déjà profond - déjà profond, et ce n’est encore que la fin de l’hiver. Et puis, s’il s’agit d’un endroit caillouteux, comme un petit éboulis, alors les pierres ont bondi de toutes parts, et certaines ont encore une trace noire de la gomme du pneu…
Tout cela fait que je ne suis pas seul, au long de cette montée, et j’en suis heureux.
Au départ, à sept heures du matin, je croise un groupe de chasseurs. J’avais la crainte qu’ils n’aillent dans le secteur du sentier de la Cuche, mais fort heureusement ce n’est pas le cas.
Ils vont, me disent-ils, de l’autre côté, vers Ezy…
Sauf que, répondis-je, après le sommet, je redescends aussi de l’autre côté. Et…. ???
Non, non, pas de problème, est leur affirmation tranquille.
Rassuré, je les quitte, et entame la montée sereinement.
En redescendant, après la ferme de Combe Clause, il faut quitter la route forestière et - vers la droite - entamer la piste forestière qui mène à Foraize. Dans cette hêtraie-sapinière, l’ambiance est très intime. Voire, lorsque les frondaisons touffues masquent la clarté du jour, cette ambiance devient un peu lugubre. Je ne suis qu’à moitié tranquille. C’est ici exactement que le froid avait été le plus intense, en janvier, et m’avait obligé à enfiler toutes les épaisseurs de vêtement. Pour le moment, des oiseaux de toutes sortes sifflent, chantent, roucoulent, piaillent, et l’attention se porte vers ces bruits réconfortants.
Quelle n’est pas ma surprise en distinguant, cent mètres devant, deux taches orangées : ce sont des chasseurs. Et ce sont les mêmes que ceux du matin. Ainsi, cette notion de « l’autre côté » de la montagne est bien la même, pour eux comme pour moi.
Nous prenons le temps de la discussion, car c’est toujours un bon moment, un moment instructif entre gens de la montagne. Eux chassent le chamois, aujourd’hui. Mais la journée est mal partie, semble t-il. La discussion roule d’une espèce de bête à l’autre, pour en arriver à celle du loup.
- Il y a deux loups, ici, dans CE secteur, me dit alors mon interlocuteur… !
- Deux ? Ah bon ! Et on les chasse, ces loups ?
- Non, c’est interdit. Sauf autorisation particulière.
- Et comment savez-vous qu’il y en a, ici ?
- Ah ! On voyait leurs traces, en janvier. Ici, sur cette piste. On les reconnait parce qu’ils marchent bien droit.
- Et cela ressemble à des traces de chien, en plus gros ?
- Oui, c’est ça.
Mon sang se glace.
Effectivement, en janvier, la deuxième fois, j’avais bien remarqué ces grosses traces de chien. Ce jour-là, j’avais pensé à un chien de grande taille, genre Patou, ou berger des Pyrénées. Et bien non ! C’était un loup…
La peur rétrospective me prend.
J’imagine la scène : seul, en fin d’après-midi presque la nuit, dans une forêt assez épaisse, avec une dizaine de centimètres de neige fraiche recouvrant une sous-couche, je descendais. Et là, tout d’un coup, en face de moi et à quelques dizaines de mètres seulement, un gros loup qui remonte la piste en sens inverse. Il me regarde. Tout deux, nous nous sommes arrêtés. Les yeux dans les yeux. A se demander lequel va bouger le premier, et dans quelle direction ??? Pour me défendre, je n’ai que mon bâton de ski. Lui, il a sa mâchoire…
Je tremble.
Revenant au présent, et cherchant à me rassurer, je questionne :
- Et le loup, quand il nous rencontre, que fait-il ?
- Oh, il s’en va, me dit le chasseur, ramenant contre lui sa superbe carabine, équipée d’une lunette de visée…
Lui peut être tranquille, avec son équipement.
Moi, en tout cas : non !
Nous terminons la discussion, et je repars vers la Voroize.
N’empêche, je n’en mène pas large. Aucun argument que j’essaye ne parvient à me rassurer, et tout du long, je vérifie les à-côtés du chemin, je fouille la forêt au travers des troncs d’arbres, guettant un mouvement suspect ou dangereux. Triste fin de balade…
Arriverai-je à faire une cinquième fois ce tour de la Cuche ???