Ce matin, je descends du car au hameau des Massards sans autre idée que celle de sortir de la grisaille qui bâche le ciel et mon humeur. Direction la source du Sanglier, ce sentier forestier ayant l’énorme avantage de ne pas faire de dentelles et monter bien souvent droit dans la pente. Les mollets chauffent et c'est rapidement que la première étape est bouclée dans une ambiance automnale marquée par les feuilles mortes qui dansent dans le silence envahi par la brume.
A la source, captée dans un gros réservoir, j'ai le choix entre la traversée du GR de pays pouvant m'amener au pas de Montbrun ou continuer à faire fumer les cuisses vers le pas de Rocheplane. Le but étant de sortir de la poisse le plus rapidement, je n'hésite pas longtemps, d'autant que cela fait déjà un bon paquet d'années que je n'y suis pas passé. Bon choix ! Cent ou deux cent mètres plus haut, le soleil me cueille, inonde les falaises et les pentes flamboyantes de sa lumière. Je me pose sur un bloc, soudain saisi par cette si particulière plénitude ressentie quand on est pris dans le spectacle grandiose de la montagne. Je grignote un peu, arrose le tout d'un peu d'eau et c'est déjà serein que j'entame tranquillement la montée au pas. Je l'avais un peu oublié, voir négligé ce beau pas de Rocheplane, au caractère aérien sans être vertigineux. Le contact du rocher sur la dalle sculptée par le temps et l'eau donne envie de balades verticales, elles aussi oubliées depuis quelques temps.
La crête est trop vite atteinte, l'intersection au pas de Montbrun aussi alors je me décide de pousser jusqu'à l'Aulp du Seuil. La traversée jusqu'au Piton de Bellefond, parcourue maintes fois m'apporte toujours autant de plaisir. Comment pourrait-il en être autrement ? J'y sors mon trio de sandwichs viandes séchées-rillettes-andouille préparé dans l'unique but de les savourer au soleil. Ça sent un peu la crotte de bique mais aucune importance, je suis bien, là au sommet du piton, les yeux courant de part et d'autre de la crête et sur les pentes jaunes, oranges et rouges. C'est calme, même pas un chocard. L'air semblerait immobile sans ces panaches de brumes surgissant ici et là des falaises, grossissant les masses nuageuses s'accumulant au dessus des crêtes. Ça se couvre, c'est le moment de repartir.
Arrivé au col de Bellefond, je me rends compte que je n'ai pas croisé un être vivant hormis quelques bruissants criquets sous le pas de Rocheplane et un geai, sentinelle des forêts, pas loin de la source du Sanglier. Je dévale les pentes, bienheureux de la terre encore mouillée de ces jours humides, fixant les gravillons si prompts habituellement à rouler sous la semelle. C'est silencieux, je m'entends presque réfléchir et j'aborde le chaos de bloc avec l'espoir d'y croiser un ou deux chamois. Les dieux de la montagne m'entendent et quelques instants après avoir formulé cette pensée, au détour d'un sapin, je tombe nez à nez avec un jeune chamois. On reste tous les deux interdits, le temps suspends son vol, quel bel animal ! Le temps d'une photo et le chamois détale en grands bonds gracieux vers les pentes des Lances. Il y rejoint sa mère, chuintante, visiblement contrariée et inquiète. Aujourd'hui, c'est vendredi, jour sans chasse en Isère, elle n'a pas à s'en faire. Un peu au dessus, un gros mâle observe la scène distraitement et retourne rapidement à sa dégustation de pelouses. De nouveau, je me pose et regarde vivre ce beau trio. Malheureusement l'heure tourne et il ne faudrait pas que je loupe le car du retour. Un peu plus loin, je croise une marmotte grasse et peu farouche, prenant le soleil qui fait des tâches de lumière dans le vallon. La remontée à l'Aulp du Seuil est vite avalée et j'y croise mes premiers humains de la journée, une paire de retraitées bavardes et enjouées. De l'autre côté, les falaises magnifiques du cirque jouent à cache-cache avec les brumes et dans la forêt, dans la lumière dorée, on a parfois le sentiment d'être dans un tableau de Klimt. J'arrive au col de Marcieu avec juste le temps qu'il faut pour siroter une bière à la Renardière en attendant le car.
Quelle bonne journée !