Changement de programme au dernier moment, alors que je sors de la maison c'est tout sombre au Sud alors qu'au Nord le ciel est parfaitement lumineux, le projet Matheysin est donc abandonné au profit d'une destination plus septentrionale, c'est vers les Bauges et plus particulièrement le Mont Morbié que je roule maintenant.
Le soleil illumine la vallée d'une chaude lumière, marcher dans cette nature maintenant exubérante est un plaisir à consommer sans modération. Les feuilles sèches craquent sous mes pas, le coucou tente d'imposer son chant monotone, ce qui n'est pas du goût des merles moqueurs qui lui répondent dans des variations mélodiques surprenantes. La marche a des vertus insoupçonnées, comme l'introspection... réfléchir à la vie, aux choix décisifs et à la beauté du monde, le programme est riche et toutes les balades des Alpes ne suffiraient pas à épuiser tous les questionnements en quête de réponses.
Bref cette philosophie de comptoir ne saurait me détourner de mon objectif, décoller du sommet ! En arrivant sur l'antecime la chose est acquise, ça devrait être bon pour un retour par les airs. Pourtant les derniers mètres qui me séparent du sommet vont changer la donne, un bon vent de sud-est balaye la pente terminale. Si la brise est parfaitement orientée, sa force n'en demeure pas moins puissante. J'étale la voile et en démêlant les suspentes, j'écoute le sifflement inquiétant du vent dans les ficelles. Le décollage est énergique, sitôt les caissons au vent, l'air s'y engouffre et gonfle instantanément la voile qui monte à la verticale sans se soucier du poids de ma grande carcasse. Je monte certes, mais ça n'avance pas ! Comme un papillon planté sur le tableau d'un lepidoptérophile, je reste au dessus du sommet, cette situation n'a rien de rassurant, finalement en accélérant un peu, la voile avance dans le lit du vent.
Mais rien n'est gagné, sitôt suis-je sorti du dynamique qu'une lente descente s'est amorcée. La lisière de la forêt approche lentement et avec elle une crainte mêlée d'angoisses... je vais finir dans les arbres ? Finalement l'influence néfaste du fort vent météo devient secondaire et la voile se met à pénétrer, reprenant alors une vitesse rassurante. Après ce début de vol anxiogène, la suite n'aura été qu'une cavalcade de thermique en thermique. L'atterrissage sur mon terrain secret aura lui aussi été un peu périlleux, comme il est en pleine pente, il est traversé de rafales désorganisées. C'est la roulette russe malgré la flamme installée ce matin, elle gigote dans toutes les directions. Alors que j'allais faire un cratère vent de cul, une brusque rafale me ralentit au tout dernier moment pour me déposer presque comme une fleur. Et dieu sait combien elles sont maintenant nombreuses au milieu du champ. Un petit troupeau de génisses assistent au spectacle, mais elles sont déçues de ne pas avoir droit à la culbute de l'artiste volant !