Arrivé à Saint Pierre d'Albigny, j'y trouve mon champ fétiche d’atterrissage avec une belle pelouse en herbe haute impénétrable... toutefois, le chemin qui le coupe fera office de piste, afin de préserver le foin du paysan. Je laisse donc la bagnole et commence la marche d'un pas tranquille. Deux bâtons rectilignes et bien secs se présentent rapidement à moi sur le bord du sentier, ce qui me permet de profiter instantanément de ces deux tuteurs pour marcher d'un pas de sénateur dans un style Alpin. Comme il est bon de cheminer dans une campagne résolument apaisante, seulement troublée par les chants exotiques du merle ou encore la booléenne mélodie du coucou. Le temps n'est pas exceptionnel, un plafond nuageux de haute altitude a ôté toute couleur au ciel d'habitude azuré. Néanmoins, le vent calme et l'absence de pluie sont les deux ingrédients essentiel pour la réussite de cette sortie mais cela ne va pas durer.
C'est à la moitié du parcours qu'une première alerte a sonnée, c'est sous la forme d'un doux crépitement de grosses gouttes tombant sur le tapis de feuilles mortes, ce tintement sourd a retenu mon attention avant que l’une de ces larmes ne vienne s’écraser sur mon large front que ma chevelure de plus en plus dégarnie laisse apparaître. Enfer et damnation, la pluie aurait elle deux heures d'avance sur les prévisions ? Compte tenu de la dépression attendue, c'est fort probable, même s'il est courant que l’arrivée des nuages apporte souvent une première courte et maigre ondée qui ne devrait en aucun cas arrêter le pèlerin. Si ma cadence s'est soudainement accélérée, je n'ai pour autant pas renoncé au sommet. Mon cœur commence à battre avec plus d’insistance, mes tempes résonnent des battements sourds des veines gonflées par l'effort. Surtout il convient de ménager la carcasse, le sommet n'est pas encore atteint alors il s'agit de ralentir la marche. Finalement j'arrive au col de la Sciaz en même temps que s’achève la pluie traversière. Mon moral remonte en flèche mais pour une très courte durée, en effet, des nuages bas envahissent soudain le fond de la vallée et de joufflus cumulus coiffent les sommets alentours. Moi qui pensais calmer le jeu afin d’apaiser les battements trop présents dans ma tête, c'est raté, il faut accéléré !
La dernière partie est faite en progressant la tête dans le guidon, sans regarder quoi que ce soit d'autre que mes pompes rouges qui sont censés me porter bonheur. Mais en arrivant au sommet, il faut croire que mes prières faite au pieds des plus beaux arbres croisés durant la montée ont été exaucées... les nuages bas sont en train de se dissoudre aussi vite qu'ils sont arrivés, pendant que le vent s'oriente parfaitement dans l'axe de la pente d'envol, quant à la pluie, ce n'est plus qu'un mauvais souvenir. Même si les brumes lointaines au dessus de Grenoble laissent présager un dégradation prochaine, il me reste du temps. Je suis là, bien vivant, face au monde à humer l'air pur et limpide autant que je le respire. Rien ne devrait m'opposer au vol, pas même la brise maintenant trop faible pour m'assister. Il faut maintenant répéter ces gestes de la préparation du parapente, cet outil si extraordinaire, ce chiffon roulé au fond du sac dont le vent tout a l'heure va gonfler les entrailles et transformer le tissu en une aile fine et tendue. Le miracle se reproduit comme a chaque vol, sitôt la voile remplie d'air, elle me porte au-dessus de la montagne. Le sentier apparaît encore sous les arbres à peine en bourgeon à cet altitude encore montagneuse.
Je me promène maintenant au dessus du relief, l'enthousiasme est intact malgré les années qui filent à toute allure, s’émouvoir de la montagne vue sous cette angle est un perpétuel émerveillement. Il reste à se poser dans les herbes hautes, que les multitudes de fleurs sauvages illuminent comme autant de taches multicolores. Certes mon enthousiasme est décuplé par le fait que plus tard, maintenant que je transcris mes sensations, pas la moindre palpitation suspecte de ma vielle pompe ne vient ternir les souvenirs de cette magnifique promenade aux marges de la dépression....
L'avenir, qu'il soit de courte ou de longue durée, s'annonce sous les meilleurs auspices, je devrai pouvoir encore refaire quelques balades et peut-être même réussir encore des promenades exceptionnelles comme celle du Mourre froid, belle sortie qui s'est déroulée à merveille il n'y a pas si longtemps que cela.