La montagne aux alouettes
Ce matin, il ne s'agit pas de monter trop haut, il parait qu'il y a du vent au dessus de 2000m. Je change d'objectif au dernier moment, pas envie de faire des kilomètres pour un vol aléatoire. Météo.parapente annonce une poche de sérénité au sud de Grenoble, allons voir.
Les lacs de Laffrey offrent au regard une surface lisse comme un miroir tandis que La Mure a du mal à s'extirper des brumes matinales. C'est étrangement calme et cette tranquillité n'est pas pour me déplaire. La marche débute en sous bois, le silence enveloppe mes pas, rien ne bouge. Plus haut un chevreuil éructe tout près de moi, peut être pour me signifier que seule ma présence ici n'est pas naturelle, comme si tous les éléments qui nous entourent étaient siens, il me laisse passer certes mais c'est juste une tolérance. J'en prends bonne note et poursuis la promenade. La sortie de la forêt est toujours un moment agréable, le ciel est pur, l'horizon lointain se découpe avec acuité. Les lacs sombres sont toujours immobiles, le chant des alouettes commence à se faire entendre.
Au fur et à mesure de l'ascension, la mélodie apparait de plus en plus entêtante, pourtant j'ai beau écarquiller les yeux, impossible de localiser les oiseaux dans l'azur. Les gazouillis perdureront jusqu'au sommet. Ce n'est pas le vent qui va disperser les notes aujourd'hui, il n'y en a pas, toute au plus une petite brise descendante pas méchante. Les premiers nuages très haut dérivent rapidement, ils viennent de l'ouest. Compte tenu de la proximité du sommet, le vent fort n'est pas a craindre, il doit être confiné dans les hautes couches. Ici règne une douceur incommensurable, la température est idéale, la lumière quasiment céleste, et le gazon encore ras tient plus du jardin d’éden que de la steppe immense et glacée.
Il est encore tôt, Grenoble au loin sort de sa léthargie dans une brume tenace au sol. Le Mont Aiguille, juste en face, brille dans la lumière du matin, bref profiter de la vie dans ces moments là est une priorité. Alors je m'installe au sommet et contemple le monde, quoi en particulier ? Tout. Ici un nuage qui s'accroche à un haut sommet, tout en bas une petite voiture qui semble miniature, elle roule vers une destination inconnue, vers son destin peut-être. A mes pieds se déroule le ravin de la face nord, Ce couloir fut une légende du temps où les topos de ski n'existaient pas. Un trésor que nous croyions notre, jusqu'à ce que Saint Shasha le démystifie d'une misérable note. Plus loin un village est blotti dans la verdure, havre de paix dans une nature triomphante.
Mais il est temps de descendre. Compte tenu des conditions idéales, deux options s'offrent à moi, décoller en Est, face à la lumière et contourner le sommet par le nord, ou alors en ouest, face à l'immense plaine matheysine d'où provient une petite brise météo délicieuse.... Va pour l'ouest avec la secrète idée d'enrouler sur la Croix de Gouret. La préparation est facile sur ce terrain parfait, sans exposition, sur une herbe douce comme du molleton.
Hors de tout souci, il suffit d'avancer vers la pente, la petite brise fait le reste. Peu à peu le sol s'écarte, l'air est calme, sans transition ce n'est plus de la marche, c'est du vol... La voile glisse doucement dans le ciel, au milieu des alouettes sans doute, leur chant s'est tu, reste seulement le sifflement léger des suspentes et l'air qui s'engouffre partout. Ce n'est pourtant pas mon premier vol, cependant je suis émerveillé comme au premier jour. Je m'en rappelle de ce vol, avec un parachute en guise de voile... Ce dont je me souviens le plus, c'est la joie presque enfantine de pouvoir voler, c'est pas compliquer j'ai rigolé durant tout le vol. Bon maintenant il n'y à plus l'effet de surprise, j'ai arrêté de rire, quoi qu'il en soit l'émerveillement reste intact, alors j´en profite. En passant sur la croix, le petit thermique est déjà là, quelques petits tours et direction les lacs dont la surface est à peine irisée par une douce brise chaude. Au loin sur l'Obiou, les nuages prennent une tournure moins engageante, ils se massent en une noire nuée annonciatrice d'un orage. Le vol se termine à coté d'un petit vieux qui fait sa promenade sur le bord de la route, je le salue en même temps que la voile se pose à ses pieds.
Voilà une parenthèse matinale qui redonne du sens à la vie, des vols aussi sereins sont rares, puissent t'ils être encore nombreux!