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TOUSSIERE
Il n’est pas donné tous les jours de réussir une Vraie Belle Balade de montagne. Une de ces balades qui provoque - avant de partir - de l’inquiétude face à l’inconnu du cheminement ; qui – pendant - vous fait battre le cœur d’émotion, et surtout dans le passage-clé ; et qui vous fait éclater de joie quand elle est finalement accomplie, que tout a été réussi pleinement.
Et bien c’est ce que vient de me fournir, hier lundi, le sommet de Toussière et son versant nord-est !
Depuis mes lectures d’adolescent sur les exploits des grands montagnards, un idéal de course en montagne s’était dessiné progressivement dans mon esprit. Voici comment il se résume : il y faut une montagne triangulaire, haute, élégante, dont le sommet serait pointu, et avec un versant à remonter qui serait austère. Voilà pour les lieux. Quant au tracé de la course, il se doit d’être rectiligne et de finir exactement au sommet.
Bien sûr, il s’agit là d’un rêve…
Mais d’un rêve toujours présent, aujourd’hui encore. Et oui, l’âge n’enlève rien à la chose !
Depuis plusieurs années déjà, je vais faire des visites dans le Diois, et en particulier au vieux village du Reychas, au-dessus des gorges des Gâts. Pour atteindre ces gorges depuis Grenoble, j’emprunte la RN 75 jusqu’au col de la Croix-Haute, puis bifurque à droite par le col de Grimone. C’est dans ces quelques virages, entre le hameau des Lussettes et le col de Grimone, que j’ai aperçu pour la première fois le sommet de Toussière. A chaque fois que je passais là, et parce que c’était au printemps, il était enneigé. C’était aussi parce qu’orienté au nord-est, les reliquats de l’hiver se prolongeaient sur cette face plus longtemps que sur les autres expositions. Et ces langues blanches de neige, verticales, alternées avec le sombre des trois éperons rayant le versant, formaient une composition superbe, attirante. C’est pourquoi, dès le premier regard, ce versant m’a capté.
Bien individualisé, le sommet de Toussière est, vu de cette route, le maître des lieux, même si son altitude modeste, 1916 mètres, ne peut le rendre célèbre. Je faisais une photo, pour prendre date et pour garder dans un coin de mémoire cette montagne à venir, peut-être à visiter un jour.
Ce rituel du Reychas provoquait, à chaque printemps, une piqûre de rappel. Une nouvelle photo était ajoutée à la précédente, chaque fois. Si bien que cette série de vues du versant nord-est de Toussière a fini par augmenter sensiblement. Cette "collection" restait toutefois bien maigre, car il s’agissait toujours du même point de vue et n’offrait pas de variations.
L’examen attentif de ces photos montra quand même qu’il y avait là, au sein de ce versant, et au bord de ces ravines repoussantes, une possibilité de parcours, histoire de faire une tentative. Je voyais bien, aussi, la barre rocheuse supérieure, elle qui bloque tout accès direct vers le sommet, brisant net l’envie de trajectoire parfaite arrivant à la pointe. Ces photos n’étaient pas parfaites. Je n’arrivais pas à déduire la configuration précise des lieux. Mais il me semblait malgré tout discerner, dans cette barre, une petite faiblesse permettant d’entrouvrir la possibilité du franchissement. Tout au plus s’agissait-il, sur les photos, d’une ombre pouvant signifier un repli de terrain, dans lequel, si les choses se combinaient bien, pourrait s’envisager un passage…
Tout cela était bien ténu.
Mais l’aiguillon du doute, associé à l’envie d’en avoir le fin mot, ont fini par avoir raison de ma raison, et la graine du projet, qui avait été implantée dans mon esprit, fut alors, et définitivement, germée.
J’étais foutu… !
Compte tenu de ce que sont devenues aujourd’hui les choses me concernant, le projet parfait se doit de respecter certaines exigences. En plus des contraintes issues de l’adolescence, vous savez : « une montagne triangulaire, haute, élégante, avec un sommet pointu, et dont le versant est austère », viennent maintenant s’ajouter un certain nombre d’autres paramètres. Dans le désordre, cela donne : il ne faut pas que le dénivelé dépasse les 800 m ; le sac ne doit pas, lui, dépasser les 10 kg, corde y compris ; les difficultés doivent exister, certes, mais quand même pas trop (en particulier le vide : il peut bien se montrer un peu, mais ne doit pas être omniprésent) ; il doit faire beau, mais pas chaud (au-delà de 25°C, la pompe interne refuse d’actionner à cause d’un thermostat qui ne fonctionne plus comme il faudrait) ; il faut qu’il n’y ait pas de sentier balisé, hors ceux faits par les bêtes du coin ; il faut que le moral soit bon….
Et je dois en oublier quelques autres !
Bref.
Tout cela est bien compliqué.
Sauf que là, à Toussière versant nord-est, tout est en place, et respecte le cahier des charges…
J’y vais !
Lundi 16 juin.
Météo pas bien fameuse. Si cela tourne aux gouttes, cela sera un bon prétexte pour faire demi-tour. Voyez le moral !
A la grange de Lus, je croise les bergers qui s’affairent là avec leurs 1500 brebis. Longue discussion sur leur métier, les pâtures, le climat… Bon, je les quitte quand même, pour aller à mon affaire.
La piste forestière est bien marquée. Elle attaque droit dans la pente, au milieu des gros sapins blancs, dont certains ont été coupés et descendus par les bûcherons. Par curiosité, je compte les cernes, bien visibles, sur deux souches de belle taille. A ma grande surprise, sur ces deux souches, il y a plus de 170 cernes ! Je n’aurais pas pensé que ces arbres, dont le tronc fait environ 80 cm de diamètre, c'est-à-dire pas si gros que cela finalement, puissent être déjà aussi âgés. J’ai bien fait de faire ces comptages !
Quand la piste se dissout dans la forêt, il faut partir à gauche, à l’horizontale, pour rejoindre le ruisseau des Chaumets dont le gargouillis a été présent tout au long de la montée. Ici commence le hors-piste. J’aime ça…
Le ruisseau est bien encaissé, et vu d’en face, la rive opposée ne paraît pas commode du tout. Mais tout va mieux quand on est dedans : sur place, ça passe toujours bien mieux qu’on ne le craint. Maintenant, c’est la forêt de pins noirs d’Autriche plantée par la RTM afin de consolider tout le versant et d’endiguer l’érosion dû aux ravines voisines. Ces arbres font bien leur office, même si par endroits certains ont souffert des avalanches : leurs troncs ont été bousculés et les racines sont mises à nu. Pourvu que ces arbres arrivent quand même à continuer de vivre…
Suivant la configuration des lieux, je traverse tantôt à droite pour aller voir les ravines de près, ou tantôt à gauche pour profiter du calme et de la sérénité des longues pentes herbeuses du versant. Tout cela se fait dans une ambiance très bucolique. Et comme par ailleurs les nuages semblent s’éloigner, le moral monte.
Au sortir de la forêt RTM, la vue s’élargie. Tout ce panorama devient superbe, vers le Dévoluy, ainsi que vers le Diois. Le moutonnement des reliefs, ici peu agressifs, remplit l’esprit de calme. Cela n’arrive toutefois pas à me faire oublier la barre rocheuse, juste au-dessus. Elle n’est pas trop terrible, mais j’aimerais quand même bien parvenir à la franchir - ce serait plus élégant - plutôt que de biaiser la difficulté en m’échappant latéralement.
M’y voilà !
Cette faiblesse existe bien. Une plaque herbeuse coupe la continuité rocheuse. Toutefois, ce n’est pas parce qu’il y a de l’herbe, que c’est franchissable : leçon déduite d’expériences précédentes… Comme toujours, il faut s’approcher avant de tirer une quelconque conclusion. Très près même. Et, dans le cas d’espèce, plus j’avance, plus la conclusion recule. Je veux dire par là que chaque fois que je fais dix pas, les dix pas suivants se voient et sont fréquentables. Alors je continue.
Ici encore les bêtes circulent : leur trace est bien nette. Mais, même si cette trace est une raison nécessaire pour que j’arrive à franchir, moi, ce n’est hélas pas une raison suffisante ! Avec le plus de calme possible, je progresse. L’idée fixe est de se dire : tu n’avances que si tu sais faire demi-tour. Comme la réponse est « oui » - mais un oui que je ne teste pas en grandeur réelle, et qui reste une réponse de principe - en fait, je continue à monter.
D’abord la vire : cinq mètres, qui mènent à un replat minimum, entouré de vide, au sommet d’un pilastre. Ensuite un raide ressaut d’herbe, très grasse, dans laquelle le piolet s’enfonce de manière franchement rassurante – trois ou quatre mètres. Enfin : un point de repos, me tenant au tronc d’un conifère rabougri mais solide. Pendant que le cœur tâche de revenir à un rythme compatible avec le nombre de mes ans, je regarde comment s’annonce la suite. Au choix : à droite, peut-être, mais c’est très exposé sur un long passage au-dessus de la barre rocheuse, et avec ce sol encore assez humide, le choix n’est guère tentant. Je l’élimine. A gauche : cela s’annonce mieux, avec des sortes de balcons, toujours très herbeux mais à surfaces horizontales, et bien plus court en distance pour sortir : peut-être dix à quinze mètres… Je prends ! Le piolet est ici une véritable assurance, et j’en abuse totalement. Deux autres conifères fournissent des appuis confortables et, au bout du compte, je sors sur l’espèce d’arête à partir de laquelle la pente diminue quelque peu. Ouf… !!!
Je pense à prendre l’appareil photo, pour immortaliser le passage, mais les angles de vue sont minables, et ne rendent rien de ce que sont ces lieux. Tant pis !
Au fur et à mesure de l’avancée, les choses se simplifient à nouveau. Tout baigne. Une nouvelle trace de bêtes fournit un cheminement vraiment confortable, et me guide vers l’arête ouest du sommet, voulant me faire échapper, une fois encore, à la ligne directe arrivant pile à Toussière. Correction de trajectoire et, par un petit ressaut, sous la dernière strate, plus un zigzag sur les marches herbeuses, j’arrive au final. Visant le point qui me semble le plus haut…. .…je tombe exactement sur la borne géodésique indiquant le sommet.
Magnifique !
C’est alors le moment de l’émotion.
Pas de larme, cette fois. Mais un rire : oui.
Et puis le large sourire - que personne ne voit, c’est vrai – mais qui s’imprime aussitôt dans la bibliothèque des souvenirs importants. Un rire, encore…
Je regarde alentour, ces paysages que je n’avais pas encore vus, ceux du versant sud. Le soleil fait un tour, et donne à profiter du calme de la montagne et de ses pâtures d’altitude. Ici personne. Pas de troupeau non plus. Mais j’entends, derrière moi, côté nord et dans le fond, les bêlements du troupeau des bergers de ce matin : ils sont montés dans les alpages sous le col Navite. Alentour, ce sont eux les seules vies perceptibles.
Pour la descente, il était prévu justement de passer par le col Navite.
Mais à observer les lieux à la jumelle, il apparaît une autre possibilité : celle de l’arête nord, qui descend vers le Serre des Œufs. Même si cette possibilité n’est pas acquise, elle mérite quand même d’aller plus près et, comme toujours, de voir sur place comment sont les choses.
Décidément, la pente n’est pas si raide que ça. La terre est meuble, il y a des touffes d’herbe : tout est donc pour le mieux. En descendant ces quelques cent mètres, plusieurs marques de passage indiquent une fréquentation ici. Le jeu de piste continuant, c’est finalement par un retournement très heureux de situation, et un aménagement solide, que le franchissement peut se faire. Cela ne pose plus de problème. Il faut toutefois être rodé à des sensations hors randonnées classique pour cet exercice.
L’accès à l’arête nord étant ainsi fait, c’est avec tout loisir que je peux faire des photos du versant nord-est et de ce « Chemin des plantations » parcouru il y a deux heures. La lumière est très belle. La selle de ce col est fleurie à souhait : c’est le farniente complet !
Dans la pente sous la selle fleurie, je retrouve les plantations RTM puis, tout en bas, la forêt du matin. La boucle est bouclée.
Cette balade, bien que assez petite malgré tout, fut un enchantement. Elle a eu tout d’une grande ! Et son souvenir est maintenant classé tout en haut de l’échelle des balades que j’ai faites. Elle me donne même envie d’y revenir.
C’est vous dire…
.
Et merci à toi Scal pour ces tuyaux toujours très intéressants sur les détours confidentiels de "ton" Diois. En essayant d'en savoir un peu plus, je suis tombé sur ce bel album photo : [url]https://www.flickr.com/photos/images_improbables/sets/72157622567610534/with/4001820757/[/url] J'avais déjà entendu parler de la fréquentation néolithique très significative dans toute la région (sans doute appréciaient-ils déjà l'esthétique de ces paysages ;-)), mais j'ignorais totalement l'existence de cette "tune". Voilà une motivation supplémentaire de retourner flaner dans ce secteur.
merci François, il est bien sympa et sauvage ce Diois d'outre-pente ( clin d’œil à Pierre :) ) les chamois aiment bien l'endroit et viennent brouter tranquillement les pelouses sommitales , prêts à fuir dans ces grandes pentes à la moindre alerte il y a un très beau parcours de crêtes entre Jaboui et le Pilhon, on peut même envisager une boucle en partant des gorges des Gâts, Reychas, Plainie, Jaboui... et retour par Souvestrière, Tatins etc... beaucoup de vieux sentiers peu fréquentés à noter une curiosité à visiter dans le secteur ( au dessus de Bonneval ) : [url=http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_1992_num_89_8_9529]la Tune de la Varaime[/url] bergerie néolithique et art schématique ( sur réservation et avec guide )
Date | Titre | Auteur | ||
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26-06-2014 | . Toussière, deuxième ! La balade de la semaine dernière était... | François LANNES | ||
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