Fais le détour. C'est en gros ce que m'a demandé mon téléphone ce matin alors que nous roulions vers Le Bourg d'Oisans.
Effectivement un accident sur la rocade a complètement bouché la circulation malgré l'heure matinale. Finalement nous ne mettrons que 50 minutes pour nous rendre au pied de la montagne, alors que Google annonce 1h50 pour une soixantaine de bornes dans le sens inverse. Cette remarque judicieuse de mon téléphone n'est pas sans évoquer le mystérieux personnage de la pièce de Ibsen. Et si le grand Courbe existait ? Alors que je rêvasse à cette hypothèse incongrue, v'là t'y pas que nous passons devant le chemin du Courbe non loin du terrain d'atterrissage ! Avouez que c'est troublant.
Est-ce une raison pour se perdre en conjectures ? Certainement pas. Nous voilà donc partis sur ce très vieux sentier qui fut longtemps le seul moyen de monter au petit village suspendu de Villard Notre Dame. Il passe par d'anciennes mines de plomb avant de traverser des ravines infernales, un magnifique chemin qui mérite vraiment une visite malgré l'existence d'une route vertigineuse tracée pendant la guerre grâce à la sueur et au sang des prisonniers de guerre, en somme une montagne riche d'histoire!
Les mille mètres de dénivelé sont vite passés, sans doute en raison de la musique de Grieg qui résonne dans ma tête, Peer Gynt et le Grand Courbe ! Nous traversons le petit village aux allures norvégiennes avant de poursuivre notre route, au passage sous un balcon une belle blonde chantonne, serait-ce Solveig ?
Enfin arrive la croix sommitale, la vue sur le Rochail est époustouflante, c'est l'antre du roi de la montagne. D'ailleurs il doit y avoir trouvé mon larfeille et mes lunettes. Il y a une quinzaine d'années, je m'étais envolé du glacier en ayant oublié au décollage toutes mes affaires précieuses rassemblées dans un petit sac... Aujourd'hui je suis avec Hélène, rien ne sera laissé sur le chemin. Nous arrivons au sommet par un raccourci sans connaître vraiment l'endroit du décollage. Un ramasseur de saramajous au visage de troll nous indique précisément l'aire d'envol malgré sa déconvenue: les pissenlits ont poussé et ne sont plus comestibles. Effectivement et contre toute attente, ses indications sont bonnes. En suivant ses conseils nous découvrons enfin une pente herbeuse magnifique et parfaite pour un envol en toute sécurité.
Déplier les voiles face à un tel panorama est un luxe de nabab. Nous dégustons les délicieuses gaufrettes venues directement de Vienne avant de nous installer face à une brise divinement bien orientée et délicieusement fraîche. Le vol sera une gourmandise au-dessus de la forêt d'abord, dont la variété de verts est étourdissante, au-dessus des terribles falaises ensuite, là où se faufile la route la plus dangereuse d'Europe, impressionnante vue du ciel. Enfin nous atterrissons sur le terrain officiel en prenant soin de rester sur le bord de la prairie. C'est que les foins sont terriblement hauts. Au passage nous ne féliciterons pas EDF, ils ne sont pas foutus d'enterrer les lignes électriques alors qu'ils exploitent sans scrupule l'énergie monstrueuse de l'eau qui s'écoule des glaciers. Impossible pour nous d'atterrir sur la route sous peine de finir grillés comme des saucisses sur les câbles qui la bordent.
En pliant les voiles il faut se rendre à l'évidence, les anciens marais qui nous ont servi de piste d'atterrissage sont infestés de moustiques. Il faut absolument rester au soleil sous peine d'être attaqué par une nuée de moustiques. J'en ferai les frais en allant chercher la bagnole garée en sous-bois à cinq minutes du terrain. J'ai été tellement agressé par ces foutues bestioles que je n'ai même pas eu le courage de ramasser des cèpes pourtant énormes !
A bien y réfléchir, la Solveig à son balcon ne devait pas être norvégienne mais plutôt batave, en effet Le Bourg d'Oisans est littéralement colonisé par des hordes de hollandais tous d'orange vêtus, venus du nord pour parcourir à vélo les grands cols qui viennent d'ouvrir.