Le mauvais temps s'enchaine de jour en jour nous faisant tourner en bourrique dans la vallée. Aussi avons-nous pris la direction des montagnes sitôt entendu un bulletin enfin positif. Mais notre enthousiasme est de courte durée, en sortant de la maison un ciel grisâtre et morne plane sur la ville, plus nous avançons vers Monteynard moins la montagne se fait lumineuse. Tous les sommets ont disparu dans la brume. Cependant nous entamons la balade toujours optimistes et marchons d'un bon pas dans la forêt de conifères.
C'est en sortant de la forêt que le moral est tombé dans les chaussettes, non seulement les sommets sont toujours dans les nuages mais un épais brouillard a envahi l'étage inférieur faisant disparaitre également toute la vallée. Puisqu’il ne reste même pas une heure pour le sommet de La Peyrouse, autant y aller, dans vol-rando il y a le mot rando. Un brouillard épais nous cueille une centaine de mètres sous le sommet. Là-haut on n'y voit pas à 30 m, l'ambiance est sinistre et déprimante. Commence alors une attente mettant à l'épreuve l'impatient que je suis.
On pourrait objecter qu'il est toujours possible d'observer une période de contemplation face à l'univers propice à l'épanouissement intellectuel, mais il n'y a strictement rien à contempler ! J'entame donc une marche circulaire autour du sommet sur un rayon de cent mètres en quête de l'éclaircie providentielle. Il est encore tôt puisque dix heures viennent à peine de sonner dans la brume. A la randonnée matinale s’ajoute cette errance giratoire au caractère légèrement neurasthénique, comme si les mille mètres de dénivelé ne suffisait pas. Hélène beaucoup plus patiente que moi trouve de vagues occupations sur son téléphone. Au bout de trois ou quatre tours, je commence à manifester mon impatience. C'est à ce moment qu'Hélène me sort le dicton ,"Tout vient à point à qui sait attendre". Je fais mien cet adage et repars pour un tour, toujours dans une brume épaisse. Après plus de 40 minutes d'une attente interminable, le sommet s'est dégagé d'un seul coup laissant apparaitre une kyrielle de magnifiques pointes rocheuses aux quatre coins de l'horizon. J'exulte de joie à la vue d'un tel spectacle, notre gaieté est hélas de courte durée car sous nos pieds roule une impressionnante mer de nuages épaisse et bien soudée. On ne va pas se plaindre, le panorama est magnifique !
Le problème de ce site, c'est que l'atterrissage est au bord du Drac dont la réputation auprès des véliplanchistes n'est plus à faire. Un vent de vallée furieux se lève tous les jours avec une régularité métronomique promettant de sévères turbulences, et même pire aux parapentistes inconscients du phénomène. Nous nous donnons donc encore une heure avant de battre en retraite si aucune trouée n'est observée dans l'étendue de coton au demeurant particulièrement esthétique. Mais cette fois-ci, l'attente n'aura pas été longue, une première ouverture sombre s'est manifestée au loin, justement dans la bonne direction. Les choses vont dans le bon sens, il est donc opportun de commencer à étendre les voiles même si c'est encore trop dense pour un décollage serein. Comme par magie, de la même façon que les nuages ont soudainement disparu de sous le pic du Gar lors de notre dernière visite avec Jean Pierre, la trouée s'est propagée à une vitesse fulgurante si bien qu'une fois dans la sellette, nous n'avons pu que constater l'amélioration notable de la visibilité sur notre plan de vol prédéfini.
Commence alors la partie la plus excitante de la sortie, le retour par les airs. L'envol réclame cependant un certain doigté dans la gestion du cap, la brise étant totalement de travers. On aurait pu facilement décoller face au vent sur ce sommet arrondi mais un beau cumulus obstrue complètement le plan de vol. Nous voilà condamnés à gérer cette brise à l'orientation bancale. Heureusement, pour Hélène comme pour moi, les choses se passent à la perfection. La première partie du vol est plutôt remuante, ça monte d'ailleurs de partout, nous sommes au-dessus de l'inversion. Après quelques aller-retours devant le sommet, l'heure fatidique que nous nous sommes donnés est arrivée. Il est temps d'abandonner la céleste cime et de descendre en fond de vallée.
Une dernière épreuve nous attend en bas, mais ça on le savait quoiqu'il arrive. Tous les champs sont cultivés ! Il nous est donc impossible d'y atterrir. Le plan initial est de nous poser sur le terrain de foot du village mais il est encadré de hautes lignes électriques à des fins d'illumination en cas de rencontres nocturnes... Le plan B consiste à atterrir au bord de la route principale dont le côté aval est dépourvu de fils électriques. Si c'est turbulent, ce qui est le cas aujourdhui, la route est largement préférable. Tout comme le décollage, la précision dans notre dernière ligne droite est parfaite. Nous nous posons exactement entre la route et le champ évitant ainsi et les nombreuses motos qui passent en pétaradant et les fraîches plantations de l'agriculteur, si tant est qu'il y en ait puisque le terrain semble juste retourné.
Il ne nous reste plus qu'à plier les voiles et déballer le pique-nique, puisqu'il est midi passé, au magnifique belvédère à deux pas de notre terrain d'atterrissage. Nous y trouvons un sympathique touriste pilote de drone, il nous fera une incroyable démonstration avec cet appareil stabilisé dans le ciel de manière totalement automatique malgré le furieux vent de vallée qui souffle maintenant.
Comme quoi c'est vrai, tout vient à point à qui sait attendre.